Dans un entretien riche et structuré, M. Amara Charaf-Eddine, Président-Directeur Général de MADAR Holding et Président de l’Union Nationale des Entrepreneurs Publics (UNEP), revient sur le discours prononcé par le Président de la République et les grandes lignes de la stratégie économique nationale. Pour lui, ce discours marque une étape charnière, à la fois de bilan et de projection, illustrant des réformes profondes et une ambition claire : hisser l’Algérie au rang de première puissance économique africaine. Il insiste sur le rôle moteur que doivent jouer les organisations patronales dans l’accompagnement des politiques publiques, la nécessité d’une réforme de l’entreprise, de la gouvernance publique, de la finance et des infrastructures. « L’Algérie a toutes les cartes en main », affirme-t-il, soulignant que le défi est désormais dans la mise en œuvre rigoureuse et coordonnée de cette vision.
Interview réalisée par Hacène Nait Amara
Quelle lecture faites-vous du discours prononcé par le Président de la République et des annonces qu’il a faites à cette occasion ?
Le discours du Président de la République constitue, à mon sens, une étape marquante de son mandat. Il s’agit d’un discours à la fois de bilan et de projection. Le volet bilan met en lumière les réformes structurelles engagées depuis 2020. Les résultats sont tangibles : dans le secteur agricole, des progrès significatifs ont été réalisés, notamment en matière de production de blé, ce qui ouvre la voie à une réduction des importations et à un renforcement de notre souveraineté alimentaire. Sur le plan industriel, la relance de l’appareil productif national a permis de redynamiser l’offre locale et de consolider nos positions à l’export. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus de 7 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures en 2024. Concernant l’investissement, les projets enregistrés auprès de l’AAPI, représentant plusieurs milliards de dinars, témoignent d’une dynamique en marche, portée par la diversité des acteurs, qu’il s’agisse de PME, de grands groupes ou d’investisseurs étrangers. Le taux de concrétisation de ces projets confirmera ce point de vue ; à défaut, il nous interpellera sur l’efficacité des moyens de mise en œuvre de l’arsenal réglementaire dédié à la promotion de l’investissement.
S’agissant des perspectives, le discours trace une feuille de route claire : simplifier l’acte d’investir, renforcer l’appui aux start-up, soutenir la création de banques d’affaires pour mieux financer l’économie productive, et viser un PIB de 400 milliards de dollars à l’horizon 2027. Le recentrage de certains dispositifs, comme la dissolution de l’ALGEX ou l’allègement des missions de l’AAPI, témoigne d’une volonté de recherche de plus d’efficience.
S’agissant précisément des relations que notre pays entretient avec l’Union européenne, le Président a justement rappelé que notre pays a toujours respecté ses engagements internationaux et qu’il entend, en vertu du principe de réciprocité, que l’UE, dans le cadre de la renégociation en cours de l’Accord d’association, ouvre ses marchés aux produits algériens. Il est également attendu de l’UE qu’elle permette à ses entreprises de venir investir en Algérie, à un moment où le climat des affaires y est particulièrement favorable. C’est la même démarche et la même philosophie qui nous inspirent concernant l’Accord portant sur la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) et celui relatif à la Grande zone arabe de libre-échange (GZALE).
Quel est le rôle que doivent jouer les organisations patronales dans la concrétisation des nouvelles ambitions économiques de l’Algérie ?
Elles ont un rôle central à jouer. Elles doivent l’accomplir à travers un dialogue franc et continu. À l’UNEP, le patronat que j’ai l’honneur de présider, nous sommes en contact régulier avec les autres organisations comme le CREA, la CAPC, la CAP, la CEI, la CGEA… et nous partageons une volonté commune : contribuer à la réussite de la politique économique nationale.
Des synergies sont en cours pour mutualiser nos ressources et coordonner nos actions. Nous espérons formaliser cette coopération dans les semaines à venir. Par ailleurs, notre capacité à fournir de l’expertise, à proposer des analyses pertinentes et à éclairer les décisions publiques est un atout. Il nous revient de renforcer nos outils de prospective et d’analyse, en collaborant davantage avec les institutions de recherche, de prospective, de statistiques, et en mobilisant les compétences issues de l’université, de la recherche et de l’entreprise.
Le Président de la République a indiqué que l’Algérie aspire à devenir la première puissance économique du continent. Comment, selon vous, l’économie algérienne pourrait-elle relever ce défi ?
L’ambition est légitime et les bases sont là. Pour réussir, il faudra poursuivre les réformes déjà engagées et en accélérer certaines. Je pense notamment à la réforme de l’entreprise, qui devrait débuter par la suppression de la distinction, tant dans la dénomination sociale que dans la pratique, entre entreprises publiques et privées. Elle devra se poursuivre par la modernisation de la gouvernance du secteur public, toujours nécessaire pour la viabilité de notre modèle de croissance, afin de renforcer l’autonomie des gestionnaires tout en assurant leur protection juridique. Je pense à la libération de l’initiative et la simplification de l’acte d’investir. Je pense également à la réforme du secteur bancaire et la diversification des sources de financement de l’économie, qui devront mobiliser l’ensemble des leviers disponibles : marchés financiers, circuits monétaires et secteur bancaire. Ce n’est qu’à cette condition que l’inclusion financière prendra tout son sens. Je n’oublie pas la modernisation des infrastructures de transport (ports, aéroports et réseaux ferroviaires) s’impose comme un levier essentiel pour soutenir la dynamique de croissance de notre économie. Impossible de faire l’économie de la transition numérique devra être accélérée dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie nationale 2025-2030 ; et de la transition énergétique devra s’accélérer, avec pour objectif d’atteindre 30 % d’énergies renouvelables dans le mix national à l’horizon 2035. Il s’agira de tirer pleinement parti des atouts géographiques et naturels dont dispose l’Algérie pour en faire un acteur de référence dans le domaine du renouvelable. Enfin, je termine ce propos par la dimension inclusive de la croissance qui doit être pleinement assumée, en s’appuyant sur la valorisation du capital humain, qu’il soit local ou issu de la diaspora. Il est essentiel que la création de richesse bénéficie équitablement à l’ensemble des territoires et des catégories sociales, tout en veillant à la soutenabilité de notre modèle social.
N’oublions pas que, pour la crédibilité d’une économie, il faut maîtriser les paramètres macroéconomiques tels que l’inflation, l’équilibre budgétaire, les réserves de change, etc.
L’Algérie a toutes les cartes en main. L’enjeu désormais, c’est l’exécution et la cohérence d’ensemble.
La voie est donc tracée pour un rôle autrement plus dynamique des acteurs économiques ?
L’intervention du Président de la République trace une orientation politique ambitieuse, mais réaliste, pour l’économie algérienne. Elle appelle à une mobilisation collective, à la hauteur des défis et des opportunités qui s’offrent à notre pays. Le rôle des opérateurs économiques, des organisations patronales et des institutions publiques est désormais de transformer cette vision en résultats concrets. En travaillant ensemble, avec rigueur, méthode et esprit de responsabilité, nous pouvons placer durablement l’Algérie sur la voie d’un développement solide, inclusif et souverain.
H. N. A.