À Alger, le 19 mai dernier, à l’ouverture solennelle des Assemblées annuelles 2025 du Groupe de la Banque islamique de développement (BID), le Premier ministre algérien, Nadir Larbaoui, a livré une intervention marquante. Devant un parterre de ministres, de gouverneurs, de décideurs économiques et de partenaires venus de l’ensemble du monde musulman, il a posé les jalons d’une refondation ambitieuse de l’économie islamique, appelant à une solidarité transformée en levier stratégique et à une coopération multilatérale fondée sur l’autonomie et l’intégration régionale.
Par Karima Mokrani
Dans un monde traversé par les crises systémiques — chocs énergétiques, instabilité financière, perturbations géopolitiques — les vulnérabilités du Sud global se font de plus en plus criantes. C’est dans ce contexte tendu que l’Algérie a lancé un message clair : la coopération islamique ne peut plus se contenter d’être une simple plateforme financière. « Les institutions financières multilatérales, notamment le Groupe de la BID, sont aujourd’hui plus que jamais appelées à redoubler d’efforts », a martelé Nadir Larbaoui.
Cet appel à l’action traduit une volonté de rompre avec une vision fragmentée du développement. Pour l’Algérie, il ne s’agit pas seulement de financer des projets ponctuels, mais bien de poser les fondements d’un système économique islamique résilient, capable de résister aux chocs globaux et d’assurer une croissance partagée. Cela implique un renforcement des capacités endogènes — techniques, humaines, industrielles — au sein des pays membres, une mutualisation des ressources, ainsi qu’une coordination stratégique à l’échelle régionale.
La Palestine, révélateur d’une solidarité exigeante
Au cœur de son intervention, Nadir Larbaoui a placé la cause palestinienne, qu’il a qualifiée de «révélateur moral de la solidarité islamique». La guerre en cours, qu’il a dénoncée comme une «entreprise génocidaire», ne peut, selon lui, rester sans réponse dans les enceintes économiques islamiques. Face à l’inaction de la communauté internationale, le Premier ministre a exhorté la BID à assumer son mandat historique : être au service de la reconstruction, du soutien aux infrastructures essentielles, et de la résilience des peuples opprimés.
Pour Alger, cette solidarité ne saurait se réduire à des déclarations de principe. Elle doit s’incarner dans des mécanismes d’intervention rapide, ciblant prioritairement les secteurs vitaux : santé, éducation, alimentation. Le message est sans ambiguïté : la crédibilité de la coopération islamique se mesurera à sa capacité à protéger, reconstruire et défendre.
Alger, trois fois hôte, un rôle moteur affirmé
Le choix d’Alger pour accueillir, après 1990 et 2001, cette troisième édition des Assemblées annuelles de la BID, n’est ni fortuit ni symbolique. Il s’inscrit dans une stratégie assumée de positionnement de l’Algérie comme acteur moteur de la transformation économique du monde islamique. Pour le gouvernement, il s’agit là d’une reconnaissance du rôle que joue le pays en matière de stabilité régionale, de diplomatie Sud-Sud, et de promotion d’une vision intégrée du développement.
Larbaoui a d’ailleurs saisi cette occasion pour mettre en valeur les profondes réformes économiques engagées en Algérie : modernisation des dispositifs de soutien à l’emploi, augmentation des salaires, réforme du système universitaire et valorisation du capital humain. L’objectif affiché : faire de l’Algérie un pôle de croissance, de formation et d’innovation, capable de nourrir une ambition régionale partagée.
Industrialisation, souveraineté énergétique et nouvelle ère d’investissement
La dernière partie de son allocution a été consacrée aux perspectives industrielles et minières portées par la vision du président Abdelmadjid Tebboune. Selon Larbaoui, l’Algérie entre dans une phase de consolidation des acquis économiques, avec un vaste programme d’investissement ciblé sur les secteurs stratégiques : exploitation des ressources naturelles, transition énergétique, et relance de l’industrie nationale.
Ce cap industriel s’aligne pleinement avec les orientations de la BID, qui appelle elle-même à une transformation structurelle de ses États membres. L’idée centrale est de faire de la richesse du monde islamique un levier d’émancipation collective, non un potentiel dormant à la merci des aléas mondiaux.
Vers un leadership économique islamique rénové
En définitive, l’intervention de Nadir Larbaoui ne s’est pas limitée à un discours de circonstance. Elle a dessiné les contours d’un nouveau rôle pour l’Algérie dans l’espace économique islamique : celui d’un pays capable de concilier réalisme économique, ambition géopolitique et fidélité aux causes historiques de l’Oumma. En plaçant la solidarité au cœur d’un projet de transformation, Alger affirme que le monde musulman peut redevenir acteur de son destin, pour peu qu’il mise sur ses propres forces, qu’il bâtisse des alliances durables, et qu’il transforme ses discours en leviers concrets de développement.
K. M.