Dès les premières minutes de son intervention à la 2e Rencontre nationale avec les opérateurs économiques, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a posé les fondements d’un discours de transformation. Organisée au prestigieux Palais des Conférences, Abdellatif Rahal le 13 avril 2025, cette rencontre n’a pas seulement été un espace de dialogue entre l’État et les acteurs économiques, mais également une tribune solennelle pour définir les contours de ce qu’il appelle « l’Algérie nouvelle ».
Par Hacène Nait Amara
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n déclarant sans étour : « Ce que j’attends de vous », le président a interpellé directement les opérateurs économiques, les conviant à un engagement sans réserve. On l’aura compris, Il ne s’agit pas d’une simple invitation formelle, mais d’un appel à la responsabilité nationale, à l’heure où le pays cherche à se défaire des séquelles d’un passé dominé par l’immobilisme administratif, les réseaux d’intérêts occultes et la corruption systémique.
Ainsi, le Président semble s’ériger en chef d’orchestre d’une symphonie économique nouvelle, où chaque acteur ; privé comme public, est appelé à jouer sa partition dans une logique d’efficacité et d’éthique.
« Nous avançons avec des équilibres difficiles, parce que les mentalités n’ont pas encore évolué », a- t- il convenu, dans un constat lucide mais sans fatalisme.
À travers cette déclaration, le chef de l’Etat ne fait pas que diagnostiquer un dysfonctionnement. Il en appelle à une véritable révolution culturelle dans l’administration et l’entrepreneuriat et, en proposant la mise en place de systèmes de veille à tous les niveaux, il inscrit sa démarche dans une logique d’anticipation et de rigueur, condition sine qua non pour une économie compétitive. La mobilisation générale qu’il a prônée n’apparait pas comme une formule rhétorique, mais une exigence impérieuse qui tend à mobiliser les ressources humaines, les intelligences algériennes, les savoir-faire dispersés, pour construire une économie résiliente, moderne et affranchie des schémas archaïques.
Des constats sans fard : bureaucratie, inertie, blocages
Aussi, Tebboune durcira- t- il le ton en dressant un bilan sans concessions de l’appareil économique national, fustigeant une administration «souvent source de blocages, de lenteurs, voire d’abus» et des institutions «censées accompagner le développement, mais qui, paradoxalement, freinent l’initiative», a tancé le Président.
L’Agence nationale de promotion du commerce extérieur (ALGEX) comme tête de gondole ? La sentence est sans appel, la décision irrévocable : «À partir d’aujourd’hui, Algex, c’est fini. […] Vous ne la retrouverez plus sur votre chemin», a- t- il décrété, catégorique.
Une décision qui pourrait sembler radicale mais qui s’inscrit, in fine, dans une logique de nettoyage institutionnel, visant à écarter les structures jugées inefficaces ou devenues contre-productives.
Toutefois, et dans un souci d’équité, le président a tenu à préserver l’honneur des cadres intègres de l’agence, tout en pointant l’échec du modèle sur lequel elle reposait. Plus largement, il s’est attaqué à l’inertie bureaucratique, véritable mal endémique de l’économie algérienne, qui ralentit les investissements, décourage les entrepreneurs, et alimente la défiance.
«Cela fait trois années que je parle de la création d’un guichet unique… », rappellera – t- il avec une exaspération patente.
Ce faisant, Abdelmadid Tebboune épingle l’absence de volonté d’exécution, voire les résistances internes qui bloquent des réformes pourtant vitales. Le guichet unique, conçu comme un point d’accès centralisé, décisionnel et intersectoriel pour les investisseurs, est perçu comme l’une des clés de la simplification administrative. Il incarne la promesse d’une action publique plus fluide, plus rapide et moins opaque.
Réformes concrètes et réorientation institutionnelle
Au-delà du constat, le Président s’est voulu porteur d’une vision résolument réformatrice, enchaînant les annonces structurelles. La plus emblématique reste celle du guichet unique, véritable pierre angulaire de la nouvelle architecture institutionnelle de l’investissement. Ce guichet ne sera pas un énième bureau administratif, mais un centre stratégique interconnecté, rassemblant l’ensemble des ministères, des institutions financières, des services du foncier et des experts sectoriels, doté d’un véritable pouvoir de décision. «Le guichet unique est la solution radicale au problème du foncier destiné à l’investissement», a-t-il martelé.
Il faut savoir que la saillie de cette réforme réside dans son caractère systémique en répondant aux dysfonctionnements historiques, tels la lenteur d’attribution des terrains, les conflits de compétence entre services, ou encore les refus implicites non motivés. Un décret présidentiel viendra encadrer juridiquement ce dispositif, garantissant son fonctionnement effectif et empêchant tout retour en arrière.
L’industrie, fer de lance de la relance économique
Par ailleurs, le Président Tebboune aura longuement insisté sur l’impératif de reconstruire une base industrielle solide, pilier de toute économie moderne. Il a rappelé, avec regret, que l’industrie algérienne représentait 18 % du PIB dans les années 1970, avant de s’effondrer à 3 % en 2019, une chute qu’il assimile à un «désert industriel».
« Nous allons créer une nouvelle génération de capitaines industriels» a- t- il promis, à travers un engagement qui repose sur des données tangibles, à l’instar des 13 712 projets d’investissement en cours, représentant 6 000 milliards de dinars et 350 000 emplois créés, dont la moitié dans le secteur industriel. Une relance qui vise à atteindre 13 % du PIB industriel d’ici 2027, un objectif ambitieux mais structuré.
Cette stratégie industrielle repose sur l’encouragement des chaînes de valeur locales, la diversification des filières et l’appui aux industries de transformation. Le Président entend ainsi remettre la production au cœur du développement, et faire de l’industrie non plus un souvenir glorieux, mais un levier d’avenir.
L’ambition continentale : Âun leadership économique africain
L’allocution présidentielle a aussi pris une dimension géostratégique, en plaçant l’Algérie au cœur de la dynamique continentale.
Avec une croissance de 4,1 % en 2023 et des exportations hors hydrocarbures visées à 10 milliards USD dès 2024, le président ambitionne de faire du pays la première économie d’Afrique d’ici à 2027 ou 2028.
« Nous allons intégrer notre économie aux rangs des pays émergents, avec un PIB de 400 milliards de dollars », a- t- il souligné avec une grande conviction.
Une telle vision repose sur l’activation simultanée de plusieurs levier à l’image de l’industrialisation, l’exportation, la bancarisation, et l’inclusion numérique mais a implique aussi une reconquête de la souveraineté économique, à travers la réduction des importations, l’exportation de produits à forte valeur ajoutée et la montée en gamme des filières agroalimentaires, minières et manufacturières. En somme, un projet global où l’Algérie cesse d’être un simple fournisseur de matières premières pour devenir un acteur économique à part entière dans le marché africain et méditerranéen.
Jeunesse, start-up et banques privées : le triptyque de la modernité
La jeunesse est, dans le discours présidentiel, le cœur battant de la renaissance économique. Loin des anciens réseaux, des héritages clientélistes, le Président fonde ses espoirs sur une nouvelle génération d’entrepreneurs, innovants, éthiques et agiles.
«Nous devons aujourd’hui compter sur les jeunes Algériens et leurs start-up, car leurs mains sont propres» mettra- t- il en avant, saluant, ainsi, l’émergence de start-up technologiques et de projets disruptifs portés par des jeunes souvent éloignés des cercles de pouvoir, mais animés par une ambition sincère de faire réussir leur pays. Dans la même dynamique, il appellera à la création de banques privées pour répondre à une double nécessité, désengorger les banques publiques et stimuler un crédit adapté aux réalités du terrain.
«Investissez vos capitaux dans des institutions bancaires», lancera encore Tebboune ; assurant que l’État allait ouvrir jusqu’à 49 % du capital de certaines banques publiques, mais le vrai enjeu, pour lui, reste la souveraineté financière du secteur privé, indispensable à l’investissement local et à l’intégration dans les circuits économiques mondiaux.
Une vision stratégique pragmatiquess
Il convient de souligner que tout au long de son intervention, le président Tebboune a veillé à ne pas sombrer dans l’autosatisfaction. Son discours, bien qu’ambitieux, reste lucide et pragmatique ; même s’il reconnait les lenteurs, les résistances internes, les freins psychologiques.
«Il nous faut évaluer ce qui a été accompli, ce qui est positif et ce qui est négatif, et tracer de nouveaux horizons», dira- t- il en substance. Il ne manquera pas d’ajuster, dans ce contexte global ceux qui se réfugient derrière la peur des poursuites judiciaires pour justifier l’inaction, «des faux-fuyants qui sabordent les réformes et perpétuent les logiques anciennes», a- t- il déploré.
Un appel à l’audace économique
Usant du discours d’un parfait réformateur déterminé, qui entend réécrire la grammaire de l’économie algérienne, en rompant radicalement avec les pratiques héritées d’un passé immobiliste, Abdelmadjid Tebboune tend la main au patronat, non comme simple exécuteur de décisions venues d’en haut, mais comme partenaire stratégique dans la construction du futur économique du pays.
L’économie algérienne, dira-t-il en substance, ne peut plus se permettre l’immobilisme.
En définitive, un discours qui pourrait bien marquer le début d’un tournant historique, pour peu que les intentions se transforment en politiques concrètes, et que les résistances internes soient véritablement endiguées. Le chantier est vaste, mais la volonté politique affichée est forte.
H. N. A.