La visite du président Abdelmadjid Tebboune en Italie, les 22 et 23 juillet 2025, s’est inscrite dans une volonté clairement affirmée de faire franchir un cap stratégique aux relations bilatérales entre Alger et Rome. Dans un contexte géopolitique en mutation, où les équilibres énergétiques et les enjeux migratoires redessinent les priorités des relations internationales, les deux pays ont choisi de renouveler leur engagement en faveur d’un partenariat durable, équilibré et multidimensionnel.
Par Hacène Nait Amara
En s’appuyant sur leurs complémentarités économiques, leur proximité géographique et la densité historique de leurs échanges, l’Algérie et l’Italie entendent hisser leur coopération à un niveau structurant, porteur de retombées concrètes pour leurs sociétés respectives.
Le Forum d’affaires algéro-italien, coprésidé par Abdelmadjid Tebboune et Giorgia Meloni, a constitué l’un des temps forts de cette séquence diplomatique. Dans un format réunissant chefs d’entreprise, représentants institutionnels et décideurs économiques, il a permis d’identifier les leviers les plus porteurs de la relation bilatérale, dans un climat d’écoute réciproque et de pragmatisme. Si les liens économiques entre les deux pays sont anciens, leur potentiel reste largement sous-exploité : c’est précisément ce que les deux chefs d’exécutif se sont employés à corriger, en jetant les bases d’un partenariat fondé sur la confiance et les résultats.
Une coopération économique fondée sur la complémentarité
L’axe économique a occupé une place centrale dans les discussions entre les deux parties, tant les complémentarités entre les tissus productifs algérien et italien sont évidentes. Le président Tebboune a présenté l’Algérie comme une puissance émergente, dotée d’un capital humain jeune, d’un potentiel énergétique stratégique et d’une ambition industrielle clairement assumée. Il a rappelé les efforts entrepris ces dernières années pour assainir l’environnement macroéconomique, diversifier les sources de croissance, renforcer la gouvernance des finances publiques et moderniser les infrastructures. « Grâce à son capital humain et à sa jeunesse ambitieuse, l’Algérie offre de véritables opportunités d’investissement dans des secteurs variés, allant des énergies renouvelables à la transformation numérique », a-t-il déclaré.
Parmi les illustrations concrètes de cette dynamique, le contrat majeur signé entre le groupe Sonatrach et le géant italien ENI, d’un montant supérieur à un milliard de dollars, symbolise une volonté partagée de bâtir une coopération énergétique durable, fondée sur la stabilité, la visibilité à long terme et la montée en gamme. Ce partenariat va bien au-delà du simple approvisionnement en gaz : il s’inscrit dans une logique de transition énergétique, incluant le développement de l’hydrogène vert, la réduction de l’empreinte carbone, et la valorisation conjointe des ressources naturelles.
Dans la même optique, les autorités algériennes ont exprimé leur volonté de faire de l’Italie un partenaire industriel de premier plan dans la relance de l’outil de production national. Plusieurs projets ont été mis en avant : extension du réseau ferroviaire dans le Grand Sud (plus de 8 000 kilomètres à construire), valorisation locale des matières premières, réhabilitation des zones industrielles, et digitalisation des chaînes de production. Ces axes d’intervention pourraient constituer autant de chantiers d’intérêt partagé pour les entreprises italiennes disposant d’un savoir-faire reconnu.
Le Forum d’affaires a aussi permis de souligner les secteurs à fort potentiel : industrie pharmaceutique, agroalimentaire, agriculture intelligente, tourisme durable, services financiers, et économie numérique. La volonté de bâtir une industrie de transformation intégrée en Algérie ouvre la voie à des investissements italiens ancrés dans la durée, fondés sur le transfert de technologie, la formation et la coproduction.
Une convergence stratégique multisectorielle
L’ambition algéro-italienne de bâtir un partenariat global ne s’est pas limitée au seul domaine économique. La visite présidentielle a été marquée par la signature signature de pas moins de 20 accords économiques et mémorandums d’entente couvrant un large éventail de secteurs. Cette densité juridique témoigne de la volonté des deux États de structurer leur coopération sur des bases pérennes et juridiquement encadrées. Parmi ces accords, figurent notamment des partenariats dans l’agriculture, l’aquaculture, la transformation agroalimentaire, les services postaux et de télécommunication, la coproduction cinématographique, ainsi que dans la gestion des secours, des risques et de la recherche en mer.
Le protocole signé entre l’Agence algérienne de promotion de l’investissement (AAPI) et l’agence italienne Invitalia est particulièrement stratégique : il vise à instaurer une passerelle d’appui administratif et technique pour les porteurs de projets souhaitant investir dans l’un ou l’autre pays. Ce dispositif pourrait accélérer l’implantation de joint-ventures, faciliter l’accès aux financements et permettre une meilleure lisibilité des cadres réglementaires.
La reconnaissance mutuelle des permis de conduire, ainsi que l’accord portant sur les droits des personnes à besoins spécifiques, témoignent d’une volonté de rapprocher les deux sociétés civiles. Cette dimension humaine du partenariat contribue à enraciner la coopération dans les réalités sociales et à favoriser une perception positive de l’autre au sein des populations respectives.
Par ailleurs, la signature d’un accord de lutte antiterroriste et d’une déclaration conjointe dans le domaine de la défense confirme que la coopération entre Alger et Rome s’élargit à des domaines régaliens. Dans un contexte régional instable, marqué par la résurgence des menaces transnationales dans le Sahel, la prolifération des réseaux de trafic et les tensions sécuritaires en Méditerranée, cette convergence stratégique renforce l’axe de confiance qui lie les deux capitales.
La présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni a salué l’Algérie comme un « pays ami dynamique », rappelant qu’elle est désormais le premier fournisseur énergétique de l’Italie, et l’un de ses principaux partenaires commerciaux en Afrique. Elle a également souligné que la profondeur de la relation bilatérale ne tient pas seulement aux chiffres, mais à la stabilité qu’offre Alger dans un environnement international de plus en plus polarisé.
Un dialogue politique et géopolitique renforcé
Au-delà des dimensions économique et sectorielle, la visite du président Tebboune en Italie a permis de réaffirmer une convergence d’approche sur plusieurs dossiers diplomatiques majeurs. Sur la scène régionale, l’Algérie et l’Italie partagent une préoccupation commune face à la montée des tensions au Moyen-Orient, aux risques d’escalade en Palestine, et aux fragilités persistantes au Sahel. Ce dialogue politique bilatéral s’inscrit dans une volonté partagée de défendre le multilatéralisme, de promouvoir la stabilité et de soutenir les processus de règlement pacifique des différends.
S’agissant de la question sahraouie, le président Tebboune a rappelé l’attachement de l’Algérie à une solution politique juste et durable, conforme aux résolutions des Nations unies et garantissant au peuple sahraoui l’exercice de son droit à l’autodétermination. Il a également dénoncé les violations persistantes des droits fondamentaux du peuple palestinien, appelant la communauté internationale à assumer « sa responsabilité morale et politique » pour mettre fin à ce qu’il qualifie de « génocide silencieux ».
Sur le front migratoire, Alger et Rome se sont accordés pour renforcer leur coordination, notamment en matière de sauvetage en mer, de démantèlement des réseaux de traite humaine, et de coopération policière. L’Algérie a souligné l’importance d’une approche équilibrée, qui ne se limite pas à la répression mais intègre les dimensions du développement et de la coopération Sud-Nord.
Enfin, les entretiens bilatéraux et sectoriels organisés en marge du sommet ont permis d’approfondir les pistes de coopération en matière de formation, de développement durable, de gouvernance institutionnelle et d’échange d’expertise. Le président Tebboune a qualifié cette visite de « nouveau jalon dans l’édifice des relations exemplaires entre l’Algérie et l’Italie », insistant sur l’importance de capitaliser sur l’héritage commun, les affinités culturelles et les outils contractuels désormais disponibles.
La visite d’État du président Abdelmadjid Tebboune en Italie aura été bien plus qu’un événement diplomatique symbolique : elle a cristallisé une volonté politique partagée de faire évoluer les relations algéro-italiennes vers un partenariat stratégique pleinement assumé. En misant sur la complémentarité économique, la coordination sécuritaire, l’ancrage institutionnel et le dialogue politique, Alger et Rome s’engagent dans une dynamique coopérative porteuse, apte à répondre aux défis du moment et à préparer les équilibres de demain. À l’heure où l’espace euro-méditerranéen cherche de nouveaux repères, l’axe Algérie-Italie se pose en exemple de stabilité, d’ambition et de réciprocité.
H. N. A.