Pour Hacène Ouberrane, Directeur général de la Compagnie Algérienne d’Assurance et de Réassurance (CAAR), l’actuariat est bien plus qu’une science des calculs : c’est « un centre d’intelligence décisionnelle » au service des assureurs. À l’occasion de la 3e Conférence arabe des actuaires, organisée à Alger, il souligne l’importance d’un dialogue technique régional pour renforcer les compétences, partager les meilleures pratiques et intégrer les standards internationaux tels que Solvabilité II ou IFRS 17. Dans un contexte économique, climatique et technologique en mutation rapide, l’expertise actuarielle s’impose selon lui comme un outil clé pour affiner la modélisation des risques, structurer des produits robustes et soutenir la résilience du secteur. La CAAR, en investissant dans la digitalisation, l’innovation et la diversification, ambitionne de conjuguer inclusion, durabilité et performance afin d’accompagner les besoins évolutifs des assurés et de l’économie nationale.
Interview réalisée par Hacène Nait Amara
Quelle est, selon vous, l’importance stratégique de ce forum sur l’actuariat pour le secteur des assurances en Algérie, et que représente la participation de la CAAR à cette rencontre ?
La 3e Conférence Arabe des Actuaires constitue une plateforme de premier plan pour échanger autour des évolutions techniques, réglementaires et prospectives du métier d’actuaire dans l’espace MENA. Pour la CAAR, cette participation est une occasion privilégiée pour renforcer son expertise en s’inspirant des meilleures pratiques internationales en la matière.
Nous saluons, à cette occasion, l’initiative d’organiser cette rencontre à Alger, qui positionne notre pays comme un acteur ouvert au dialogue professionnel, notamment sur des thématiques aussi pointues que celles touchant à la science actuarielle.
Nous considérons que ce type de manifestation présente un intérêt certain tant sur le plan sectoriel qu’académique. En effet, c’est un espace de réflexion et de partage autour des problématiques actuarielles, lesquelles sont au cœur de l’équilibre technique des entreprises d’assurance. En ce sens, il participe à la diffusion du savoir, au développement des compétences et à la mise en réseau des acteurs du domaine, y compris nos collaborateurs les plus spécialisés.
La présence de la CAAR découle de son engagement à promouvoir la fonction actuarielle et à améliorer continuellement sa maîtrise opérationnelle.
Le domaine de l’actuariat est évolutif, il s’agit ainsi pour nous, à travers ce genre d’évènement, de valoriser ce métier, de nouer des partenariats techniques de haut niveau, et d’adhérer activement à la réflexion sur la convergence des approches à l’échelle régionale.
Comment percevez-vous aujourd’hui le rôle de l’actuaire dans l’écosystème assurantiel algérien, et quels sont, selon vous, les défis prioritaires à relever pour renforcer cette profession ?
Le rôle de l’actuaire, de nos jours, s’impose comme un levier fondamental dans l’écosystème assurantiel national, notamment sous l’effet d’un contexte en pleine mutation.
La transition digitale du secteur, l’évolution des outils métiers, ainsi que l’exigence d’adaptation et de réactivité face aux nouveaux risques, dits émergents, réorientent les priorités des entreprises d’assurance.
Loin de se restreindre à une activité de calculs techniques, la fonction actuarielle doit évoluer vers une démarche intégrée, qui allie expertise de gestion de la donnée et vision prospective, pour affiner des solutions plus innovantes et accompagner la réflexion et la mise en œuvre des décisions stratégiques. Aujourd’hui, le périmètre de l’actuaire est appelé à s’étendre, de façon plus pratique à des fonctions de pilotage, de stratégie commerciale, de conformité réglementaire et financière, de gestion prospective des risques, et d’accompagnement des choix d’investissement. Cette transformation s’inscrit dans un contexte d’alignement progressif avec des standards internationaux, à l’instar du dispositif « Solvabilité II » et « IFRS 17 ».
Le défi majeur, réside dans un positionnement de la fonction actuarielle au sein des compagnies, qui devra s’articuler de façon optimale avec l’ensemble organisationnel. Cela confirmera son rôle central et intégré dans le processus managérial.
Pour relever ce challenge, il est impératif de développer en continu les compétences techniques des équipes actuarielles. Le métier d’actuaire nécessite, plus que jamais, une parfaite maîtrise des outils de modélisation avancée, d’analyse prédictive et de big data, pour traiter des volumes de données importantes et assez complexes, ce qui exige désormais des compétences multidisciplinaires. Le but est de faire de la fonction actuarielle un centre d’intelligence décisionnelle qui répond aux besoins de la stratégie globale d’une compagnie d’assurance.
En quoi les discussions autour de l’actuariat peuvent-elles contribuer à une meilleure maîtrise des risques, notamment dans un contexte économique et climatique de plus en plus incertain ?
L’actuariat moderne s’impose comme un levier stratégique majeur dans la maîtrise de l’incertitude. Loin de se limiter à l’évaluation statistique classique, il offre aujourd’hui des outils puissants d’aide à la décision, capables d’éclairer les choix des assureurs dans un environnement plein d’aléas.
En Algérie, le contexte actuel marqué par la volatilité économique, les dérèglements climatiques et les évolutions rapides des comportements des assurés impose de repenser les approches de gestion des risques.
L’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes, par exemple, bouleverse la sinistralité en assurance agricole ou habitation. De même, la transformation des modes de vie et de mobilité impacte directement la branche automobile.
Dans ce cadre, l’expertise actuarielle permet d’affiner les modèles prédictifs, de calibrer plus finement les garanties, de structurer des produits plus robustes et de bâtir des réserves adaptées aux aléas. Les discussions techniques entre actuaires à l’échelle nationale comme régionale favorisent le partage de pratiques innovantes : stress-testing, modélisation stochastique, scénarios prospectifs, ou encore stratégies de diversification du risque.
Ces échanges enrichissent les capacités collectives à anticiper les chocs futurs, qu’ils soient économiques, climatiques ou sanitaires. À la CAAR, nous sommes pleinement engagés dans cette démarche.
L’objectif est clair, consolider la résilience du secteur assurantiel, tout en assurant une meilleure protection de nos assurés dans un monde de plus en plus incertain.
La CAAR est un acteur historique du marché. Quel bilan dressez-vous des performances de la Compagnie ces dernières années, notamment en matière de croissance, de diversification de l’offre et de satisfaction client ?
Au cours des dernières années, la Compagnie Algérienne d’Assurance et de Réassurance (CAAR) affirme son statut d’acteur majeur sur le marché national en alliant croissance financière, capacités d’innovation et proximité avec ses assurés.
L’exercice 2024 en est une illustration forte, avec un bénéfice net de 1,03 milliard de dinars, marquant un retour significatif à la rentabilité malgré un contexte économique particulièrement exigeant. Ce résultat, obtenu dans un environnement concurrentiel assez rude, et des conditions de marché complexes, témoigne de l’aptitude de la Compagnie à faire preuve d’agilité, à préserver ses équilibres et à maintenir une activité et un chiffre d’affaires soutenus.
Notre stratégie de développement axée sur l’amélioration continuelle de la qualité de service, a permis de mettre en place une dynamique commerciale basée sur une diversification ambitieuse des offres assurantielles.
Dans cette perspective, le lancement du produit d’assurance-crédit fournisseur, destiné à sécuriser les entreprises contre les risques d’impayés, reflète parfaitement notre aptitude à proposer des solutions en phase avec les réalités économiques actuelles.
Il convient de souligner que la CAAR réaffirme son positionnement sur le marché national des assurances en couvrant la totalité des actifs d’une entreprise, ce qui témoigne de son expertise transversale et de sa capacité à répondre aux besoins les plus complexes de nos clients, qu’ils soient corporate ou particuliers.
Parallèlement, la compagnie a récemment investi le segment de l’assurance agricole en commercialisant pas moins de neuf produits couvrant l’ensemble des risques majeurs : cultures, élevage, et aquaculture ainsi que des garanties liées aux aléas climatiques et à la sécurité alimentaire.
Cette orientation réaffirme, également, la vocation de la CAAR à soutenir les secteurs prioritaires et stratégiques, tout en développant des solutions ajustées aux nouveaux enjeux économiques.
Quelles sont les principales innovations que la CAAR a introduites récemment pour répondre aux nouvelles attentes des assurés et anticiper les évolutions du marché ?
Comme nous l’avons souligné précédemment, la digitalisation de nos services via les plateformes de devis et de souscription en ligne a permis de simplifier considérablement l’expérience client. Mais notre ambition va au-delà de ces acquis initiaux.
Notre priorité porte sur la confection d’une réponse aux risques émergents, et en particulier aux risques liés à la cybercriminalité. Conscients que les entreprises algériennes adoptent de plus en plus, dans leur fonctionnement, les outils numériques, nous élaborons des produits d’assurance spécifiques couvrant les attaques informatiques et la perte de données. Cette initiative démontre notre engagement à anticiper les évolutions du marché et à garantir la sécurité numérique des opérateurs économiques nationaux.
Cette stratégie s’accompagne également d’un plan de transformation interne centré sur la modernisation et l’actualisation des outils opérationnels, tels que la mise en place d’un ERP centralisé avec module CRM, ainsi que des interfaces numériques telles que l’Etransport pour automatiser et accélérer la gestion des déclarations de sinistres et des marchandises transportées. Ces systèmes favorisent la transparence et l’efficience dans le traitement des dossiers.
Notre feuille de route pour l’avenir met un accent fort sur la recherche et le développement, avec pour objectif d’intégrer l’intelligence artificielle graduellement et de façon structurée. Nous sommes résolument tournés vers l’innovation et l’excellence.
Comment la CAAR intègre-t-elle la data et l’intelligence actuarielle dans ses stratégies de tarification, de prévoyance ou encore de gestion des sinistres ?
L’intégration de la donnée et de l’intelligence actuarielle dans nos pratiques reste un projet en développement au sein de la CAAR. Nous avons entamé une démarche progressive visant à mieux structurer l’exploitation de nos données, notamment dans les domaines de la tarification technique, de la segmentation des risques et du suivi de la sinistralité.
La fonction actuarielle collabore de manière transversale avec les structures techniques et commerciales pour poser les bases d’offres plus équilibrées et adaptées aux profils de risque.
Nous sommes également engagés dans une dynamique de montée en compétences et de veille technologique, afin d’explorer, à moyen terme, les apports de l’intelligence artificielle et des outils prédictifs dans l’optimisation de la souscription et de la prévention. Cette transformation s’inscrira dans une logique de prudence méthodique, en cohérence avec notre rôle d’assureur public.
Quels sont vos axes de développement prioritaires pour les prochaines années, et comment envisagez-vous de positionner la CAAR comme leader face à une concurrence croissante, notamment en matière d’assurance inclusive et durable ?
La CAAR inscrit clairement son action dans une logique d’amélioration continue. Nous faisons de l’innovation, de l’inclusion et de la durabilité, des leviers stratégiques de notre développement à moyen terme.
Nous avons amorcé avec succès une dynamique de diversification des produits, avec des solutions adaptées à des risques jusque-là peu couverts, soutenue par une démarche digitale volontariste, facilitant l’accès aux garanties, à la souscription et au suivi clientèle.
Ces projets, détaillés précédemment, s’accompagnent d’une réorganisation interne destinée à mieux structurer l’action commerciale et le marketing, et à renforcer la gouvernance. Ils traduisent notre but d’asseoir la compagnie comme un acteur performant, attentif et centré sur les attentes des assurables et les mutations du marché. Nous plaçons, au cœur de notre stratégie, la nécessité de rendre l’assurance plus accessible, compréhensible, et mieux adaptée aux réalités socio-économiques du pays.
Nous envisageons l’inclusion assurantielle non plus comme un objectif accessoire ou secondaire, mais comme un axe prioritaire de développement. Dans ce cadre, la compagnie intensifie ses efforts de proximité à travers des campagnes d’information, des journées d’études régionales, ainsi que des offres commerciales incitatives, ciblant les populations ou les secteurs encore insuffisamment assurés.
Il s’agit d’encourager la souscription volontaire en levant les barrières culturelles ou économiques, notamment dans les segments de l’habitat, du commerce de proximité ou des activités agricoles à petite échelle. C’est un travail de sensibilisation continu que nous menons avec conviction.
Il est primordial de s’inscrire dans une logique d’assurance durable, à travers l’intégration des dimensions environnementales dans l’appréciation du risque. La compagnie propose des solutions axées sur l’atténuation des impacts et l’accompagnement préventif, notamment dans les secteurs à forte exposition tels que l’agriculture et l’industrie. Nous œuvrons à concevoir une offre cohérente, lisible et responsable, en adéquation avec les perspectives de la croissance économique nationale.
En s’appuyant sur une gouvernance renforcée et une exigence de qualité de service constante, la compagnie entend consolider sa position de référence métier, fondée sur l’expertise technique et le professionnalisme de ses collaborateurs.
H. N. A.