Accueil ENTRETIENS Khalil Ibrahim – Directeur Général de MENA MONEY : « L’actuaire transforme...

Khalil Ibrahim – Directeur Général de MENA MONEY : « L’actuaire transforme le risque en levier de progrès économique » 

0

À l’occasion du Congrès arabe des actuaires 2025, Khalil Ibrahim, Directeur général de MENA MONEY, souligne les défis majeurs auxquels fait face la profession actuarielle dans le monde arabe : fragmentation réglementaire, faible culture de la gestion des risques, et absence de reconnaissance du rôle stratégique des actuaires. Il salue l’utilité croissante de ce congrès comme espace de visibilité et de convergence professionnelle. L’actuaire, selon lui, n’est plus un simple technicien : il devient un acteur clé de la solidité financière, de la viabilité des systèmes de retraite et santé, et de l’innovation assurantielle et bancaire. Entre gouvernance actuarielle, partenariats éducatifs et outils de modélisation avancée, le monde arabe voit émerger une génération prête à relever les défis du risque globalisé.

Interview réalisée par Hacène Nait Amara

Quelles sont les principales difficultés auxquelles la profession actuarielle est confrontée dans le monde arabe aujourd’hui ? Et comment ce congrès contribue-t-il à y répondre ?

L’actuaire est un expert en mathématiques appliquées, en statistiques et en analyse des risques. Il possède une grande capacité à évaluer les risques et à mesurer leurs impacts financiers. Dans le monde arabe, nous avons des banques centrales, des caisses de retraite, des fonds de santé, des sociétés de gestion d’actifs et d’investissement, ainsi que des compagnies d’assurance. Toutes ces institutions économiques et financières font face à des risques variés.

Cependant, d’un point de vue réglementaire, il existe un grand décalage entre les pays : certains ont des cadres avancés, d’autres en sont encore aux prémices. L’actuaire est souvent pris entre des normes internationales très exigeantes et des lois locales qui n’en sont pas encore au même niveau, ce qui constitue un véritable défi.

Par ailleurs, la culture de la gestion des risques reste relativement faible dans la région. Cela impose aux actuaires une responsabilité pédagogique majeure : sensibiliser les acteurs économiques et le grand public à l’importance de leur rôle. Ce contexte crée également de nouvelles opportunités professionnelles et des environnements de travail plus stimulants pour les actuaires.

Qu’est-ce qui distingue l’édition 2025 du congrès en termes de reconnaissance du rôle des actuaires ?

Le Congrès arabe des actuaires a été lancé il y a trois ans, d’abord au Caire, puis à Tunis, et aujourd’hui à Alger. Il s’agit d’une plateforme régionale professionnelle qui rassemble les jeunes talents et les experts du monde arabe sous une même bannière.

Ce qui le distingue, c’est qu’il offre un espace d’expression propre aux actuaires pour exposer leurs recherches, leurs expériences et leurs idées – ce qui est rarement possible dans les forums bancaires ou assurantiels traditionnels où leur voix reste marginale.

La tenue annuelle de ce congrès, comme ici en Algérie, permet une grande ouverture vers différents secteurs : banques, caisses de retraite, compagnies d’assurance, marchés financiers, sociétés de gestion de portefeuille, etc. Cette diversité appelle à des compétences actuarielles variées et favorise l’échange d’expériences. Cette année, environ 500 participants y prennent part.

L’édition algérienne encourage également les experts, les étudiants et les enseignants à s’investir davantage dans la recherche et à poursuivre des formations avancées – master, doctorat – d’autant plus que l’Association algérienne des actuaires vient tout juste d’être fondée.

Comment l’actuaire peut-il concrètement contribuer à la conception de produits d’assurance innovants ?

Le cœur du métier d’une compagnie d’assurance est d’évaluer et d’accepter des risques. L’actuaire fournit au souscripteur (underwriter) les outils nécessaires pour prendre des décisions éclairées. Sans une évaluation actuarielle fiable, il est difficile, voire risqué, de lancer un nouveau produit ou d’accepter certains risques.

L’actuaire collecte d’importantes bases de données, les analyse, construit des modèles qui permettent de tarifer les risques, d’estimer la fréquence et la gravité des sinistres. Ces modèles assurent que les décisions prises ne mettent pas en péril la solidité financière de l’entreprise.

Mais son rôle dépasse le secteur de l’assurance. Dans le secteur bancaire également, l’actuaire intervient dans l’évaluation des produits de crédit, des investissements, ou dans la structuration de produits comme les sukuks. Il peut transformer les risques en opportunités, en créant des solutions financières au bénéfice des individus, des entreprises, et de l’économie dans son ensemble.

En matière de caisses de retraite ou de santé, la modélisation actuarielle est indispensable. Elle tient compte des cotisations, des prestations, de l’espérance de vie sur plusieurs décennies. Ces fonds sont régulièrement réévalués pour assurer leur viabilité financière à long terme. C’est ce qu’on appelle la gouvernance actuarielle.

Quelles sont les collaborations que vous espérez concrétiser dans le cadre du Congrès des actuaires arabes 2025 ?

Nous souhaitons ouvrir des perspectives de partenariat avec plus de 20 pays représentés. Chez MENA MONEY, nous travaillons à l’organisation d’événements financiers et à la création de nouvelles entreprises dans le domaine de l’épargne et de la gestion d’actifs.

J’ai également constaté une dynamique intéressante de partenariats entre compagnies d’assurance, centres de formation en Algérie, ainsi qu’avec des universités tunisiennes et françaises, notamment en matière de formation actuarielle de niveau licence, master ou fellowship.

De nombreuses entreprises arabes et étrangères sont également présentes pour proposer des services spécialisés : tarification, provisions techniques, développement de solutions numériques. Aujourd’hui, des échanges ont eu lieu avec des acteurs venus de Tunisie, d’Égypte, de France, des États-Unis. Nous espérons que ces rencontres aboutiront à des accords concrets, notamment pour le marché algérien.

Le GAIF travaille-t-il sur de nouvelles initiatives pour accompagner les évolutions du secteur ?

Absolument. Nous sommes en train de lancer la Réseau arabe d’éducation financière, qui verra bientôt le jour. Par ailleurs, nous organisons cette année le Congrès arabe sur la couverture santé à Bahreïn, ainsi que le 8e Congrès arabe sur les retraites et les assurances sociales qui se tiendra en Tunisie.

En collaboration avec la Ligue arabe des actuaires – fondée par l’Union générale arabe de l’assurance – nous travaillons également sur des projets spécialisés dans l’assurance automobile, l’assurance-vie, ainsi que la couverture des risques naturels tels que les catastrophes climatiques et les séismes.

H. N. A.

Article précédentChakib Abouzaïd – SG de l’Union Générale Arabe de l’Assurance (UGAA) : « L’actuaire arabe doit devenir un stratège des risques systémiques »
Article suivantLes produits d’épargne, l’utilisation de l’IA, les tables de mortalité, la tarification actuarielle… : Ces nouveaux mécanismes qui boostent les assurances

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here