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Abdelhakim Soufi, PDG de Macir Vie : « Bâtir une entreprise tech qui a choisi l’assurance comme terrain d’impact »

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À la tête de Macir Vie, une compagnie pionnière dans l’assurance de personnes en Algérie, Abdelhakim Soufi plaide pour une refonte radicale du modèle assurantiel à l’ère de l’intelligence artificielle et des données massives. Pour ce dirigeant visionnaire, l’IA ne doit pas être un gadget technologique, mais un moteur de transformation globale : tarification affinée, prévention intelligente, automatisation du back-office, couverture climatique en temps réel, etc. Dans un environnement encore peu digitalisé, Macir Vie trace sa propre trajectoire en tant qu’entreprise digital native, avec l’ambition de voir émerger une super app algérienne combinant assurance, services financiers et prévention. Loin de se contenter d’un simple virage numérique, le PDG appelle à une révolution culturelle, à une revalorisation du rôle des actuaires comme data strategists, et à la formation de talents capables de conjuguer IA, UX design et expertise financière. « L’assurance doit devenir un moteur de croissance, pas seulement un filet de sécurité », affirme-t-il. Son credo : conjuguer puissance technologique et souveraineté locale pour bâtir un écosystème compétitif et résilient.

Interview réalisée par Hacène Nait Amara

Lors du forum consacré à l’intelligence artificielle et à l’actuariat, vous avez évoqué la tension entre performance algorithmique et adaptation locale. Comment envisagez-vous concrètement cette conciliation dans le contexte algérien ?

C’est précisément l’un de nos axes majeurs pour 2025-2026. Aujourd’hui, chez Macir Vie, nous ne disposons pas encore d’une intelligence artificielle pleinement opérationnelle et généraliste, hormis notre assistant conversationnel Hayet qui en pose les premiers jalons. Cela dit, nous avons clairement défini comme priorité stratégique le déploiement de solutions d’IA, tant pour nos collaborateurs que pour nos assurés.

Pour nos équipes, l’IA doit constituer un levier : améliorer la conception de produits, affiner la tarification, renforcer la lutte contre la fraude documentaire et optimiser la productivité et l’efficacité dans la gestion des dossiers.

Pour nos clients, cela signifie un accompagnement personnalisé, des réponses précises et quasi instantanées, un suivi transparent et intelligent, voire à terme des recommandations préventives en matière de santé ou de sécurité.

Mais tout cela nécessite une infrastructure locale robuste, dotée de GPU capables de faire tourner ces IA à pleine puissance, sur des serveurs hébergés en Algérie, conformément à la législation sur la protection des données.

C’est cette combinaison entre puissance technologique et ancrage souverain qui garantira performance et confiance.

En tant que dirigeant d’une compagnie pionnière dans l’assurance de personnes, quel rôle attribuez-vous aujourd’hui à l’actuaire face à l’essor de l’IA et à la complexification des modèles ? L’actuariat est-il, selon vous, appelé à évoluer ou à se réinventer ?

Absolument. L’actuaire ne se limite plus au rôle traditionnel de gardien des tables de mortalité ou des lois de fréquence. Il devient le chef d’orchestre de la donnée.

Avec l’IA, l’actuariat a une occasion historique de se réinventer : piloter des scénarios complexes, intégrer des données climatiques, sociales, médicales, et bâtir des modèles prédictifs allant bien au-delà du calcul actuariel classique.

C’est aussi pourquoi nous encourageons les jeunes actuaires algériens à devenir de véritables data strategists, capables de créer des modèles locaux adaptés à nos comportements et enjeux spécifiques. Il ne s’agit pas d’une simple évolution, mais d’une transformation radicale du métier.

Vous êtes un acteur engagé de la digitalisation du secteur assurantiel en Algérie. Quels freins identifiez-vous encore à une adoption large de l’IA et des outils numériques dans les compagnies locales ?

Les défis sont réels, mais relèvent principalement d’un changement profond des habitudes. Beaucoup perçoivent encore le digital comme un simple canal supplémentaire, alors qu’il devrait être le cœur du modèle. C’est ici que les InsurTech ont un rôle clé à jouer. Avec un capital d’entrée largement réduit, elles pourraient faire émerger tout un tissu d’acteurs locaux capables de bâtir un écosystème fluide, simple, automatisé en back office, au service du client.

Concrètement, cela signifie une souscription en quelques clics ; une indemnisation automatisée sans pièces justificatives complexes ; des avantages auprès de partenaires du secteur de la santé ou du voyage ; aucun coût caché : tout est compris dans la prime.

Cette aisance, cette assurance augmentée, séduira le marché. Et sur le plan macroéconomique, elle soutiendra le financement de l’économie et l’inclusion financière, en démocratisant l’assurance pour des millions d’Algériens encore exclus.

Vous avez mis en œuvre l’e-paiement dès 2017. Avec cette expérience, pensez-vous que l’écosystème algérien est prêt pour un saut technologique à plus grande échelle, notamment avec les LLM ou les modèles prédictifs de nouvelle génération ?

Nous n’avons pas fondé une InsurTech, mais construit tout un modèle d’assurance numérique avec l’ensemble des briques techniques, depuis plus de trois ans. Cela signifie que notre entreprise fonctionne comme une digital native, avec l’e-paiement intégré dès 2017. Nous sommes prêts à accueillir des modèles prédictifs ou des LLM dès qu’ils seront disponibles et encadrés réglementairement.

Nous sommes également prêts à collaborer avec les pouvoirs publics pour financer l’économie, renforcer l’inclusion numérique et financière.

Notre ambition ultime ? Voir émerger une super app algérienne regroupant assurance, services financiers, prévention, et bien plus encore.

Comment l’intelligence artificielle peut-elle renforcer la résilience des assurances face au changement climatique, notamment dans la couverture des risques agricoles ?

C’est l’un des plus grands leviers de l’IA pour l’assurance.

Grâce aux données satellites, aux historiques climatiques et aux modèles prédictifs, nous pourrons créer des assurances indiciaires ultra-réactives, indemnisant les agriculteurs sans délai ni paperasse.

Cela stabilisera les revenus agricoles, limitera l’exode rural et donnera de la visibilité aux exploitants. C’est tout le tissu économique qui en bénéficiera.

L’IA peut devenir un véritable amortisseur macroéconomique face aux chocs climatiques.

Le risque d’uniformisation des IA a été soulevé. Quelle place pour la diversité des approches dans la stratégie technologique des assureurs ?

C’est fondamental. Si tous utilisent la même IA, entraînée sur des données génériques internationales, on perdra toute pertinence locale, culturelle ou sanitaire.

Il faut encourager la diversité dans les approches : types de données, architectures de modèles, finalités assurantielles. Cette innovation contextuelle fera toute la différence, en permettant une meilleure optimisation des sinistres et une expérience réellement adaptée au marché algérien. C’est la clé pour bâtir un marché plus robuste et plus compétitif.

En tant que PDG de Macir Vie, comment anticipez-vous l’évolution de l’assurance de personnes en Algérie dans les dix prochaines années, à l’ère de l’IA et des données massives ?

Je l’imagine profondément transformée : plus fluide, hyper-personnalisée, et érigée en pilier de stabilité économique.

L’assurance peut devenir un outil majeur de captation de l’épargne et d’investissement productif. Avec la data et les modèles prédictifs, nous optimiserons les portefeuilles, réduirons le coût du risque, et réinjecterons ces gains dans l’économie réelle via des placements structurants.

En parallèle, il faut généraliser l’assurance voyage, à l’instar de l’assurance automobile, et la rendre obligatoire. Cela protégera nos concitoyens à l’étranger, renforcera nos réserves techniques, élargira l’assiette de primes, et améliorera notre balance des paiements.

Demain, l’assurance ne sera plus un simple filet de sécurité, mais un véritable moteur de croissance.

Quel message adressez-vous aux jeunes actuaires, ingénieurs data et innovateurs algériens qui veulent contribuer à cette transformation ? Et quels profils recherchez-vous ?

Je veux leur dire qu’ils sont au cœur de tout ce qu’est une compagnie d’assurance. Nous ne sommes peut-être qu’une modeste entreprise, mais nous avons une vision technologique forte, les moyens de la mettre en œuvre, et surtout une équipe ouverte au changement.

Nous cherchons des talents prêts à se mesurer aux standards mondiaux, à repousser les limites et à réinventer l’assurance : plus intelligente, plus rapide, plus humaine.

Des actuaires capables de maîtriser les logiques de prompt engineering, des ingénieurs IA sensibles aux arbitrages financiers, des UX designers sachant allier ergonomie et transparence des parcours.

Notre ambition dépasse les modèles classiques : nous voulons être une entreprise tech qui a choisi l’assurance comme terrain d’impact. À l’image de ces géants technologiques qui transforment leur secteur par la donnée, l’IA, la prévention, et l’expérience client.

En réalité, notre identité profonde n’est pas seulement celle d’un assureur, mais celle d’un innovateur : anticiper, transformer, inventer des solutions concrètes qui améliorent la vie, et inscrire l’Algérie sur la carte mondiale des écosystèmes technologiques qui comptent..

H. N. A.

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