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Abdallah Benseidi, PDG de la CCR : « L’actuariat, moteur de compétitivité et de résilience pour la réassurance »

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Pour Abdallah Benseidi, PDG de la Compagnie Centrale de Réassurance (CCR), l’actuaire occupe « un rôle fondamental dans la chaîne de valeur des métiers de l’assurance et de la réassurance », apportant une expertise clé pour la tarification, la gestion et l’anticipation des risques. Présent au Forum de l’Actuariat à Alger, il insiste sur l’importance de renforcer la place des actuaires dans les stratégies globales, d’aligner leur formation sur les standards internationaux et de leur donner les moyens de répondre aux défis contemporains, tels que les risques systémiques, la révolution numérique ou l’exploitation de la data science. Fort de performances solides, tant sur le marché national qu’international, il ambitionne de positionner la CCR comme un acteur de référence en Afrique, alliant ancrage local, excellence technique et influence régionale.

Interview réalisée par Karima Mokrani

Quel regard portez-vous sur la tenue de ce Forum de l’Actuariat à Alger et sur la dynamique qu’il semble impulser au sein du secteur assurantiel et de réassurance ?

La tenue du forum à Alger constitue une aubaine pour les actuaires du marché. En effet, la portée étendue de l’évènement et l’hétérogénéité des participants au forum des actuaires ont mis en avant le rôle fondamental du métier de l’actuariat au sein de la chaîne de valeur des métiers de l’assurance et de la réassurance. Aussi, ledit forum a lancé aux actuaires arabes en général, et aux algériens en particulier, des défis à relever afin de repousser les limites de l’assurabilité.

Les échanges ont abouti à un certain nombre de recommandations. Lesquelles vous paraissent les plus porteuses pour faire progresser l’actuariat dans nos environnements économiques et institutionnels ?

La recommandation la plus porteuse concerne le renforcement du rôle de l’actuaire dans la tarification des risques au sein des compagnies d’assurance et de réassurance, et cela dans le but de discipliner le marché sur la portée de la gestion des risques.

Aussi, la deuxième recommandation impactante portait sur la mise en place d’un nouveau modèle de formation des actuaires au sein de nos institutions par l’alignement aux normes internationales en la matière, l’adoption d’un système de certification et la mise à niveau continuelle.

Dans un contexte où les attentes vis-à-vis des outils de pilotage se renforcent, comment jugez-vous la contribution que peut apporter l’actuaire à la stratégie globale d’un assureur ou d’un réassureur ?

L’actuaire a un champ d’action important dans le pilotage de l’activité de l’entreprise d’assurance ou de réassurance. Avec l’inversion du cycle de production, l’actuaire permet d’étendre la visibilité en matière de stratégie globale en intégrant un angle de vision sur l’aléa et l’évaluation des risques auxquels la compagnie pourrait faire face.

L’actuaire contribue entre autres au maintien de la stabilité financière de la compagnie par l’estimation appropriée des réserves afin de s’assurer que la compagnie puisse honorer ses engagements futurs. L’actuaire utilise ses compétences analytiques pour élaborer un tarif qui couvre les pertes potentielles de l’assureur/réassureur tout en générant du profit. Dans le cadre de la gestion des risques, l’implication de l’actuaire dans la gestion des risques consiste à évaluer l’exposition globale aux risques de la compagnie et à mettre en place des stratégies pour les atténuer.

En résumé, l’actuaire est un partenaire stratégique pour la compagnie d’assurance/réassurance, capable d’apporter une expertise précieuse dans la gestion des risques, la planification financière et la prise de décisions stratégiques.

Face à des risques de plus en plus complexes et systémiques, pensez-vous que la pratique actuarielle doit aujourd’hui évoluer dans ses outils et ses approches pour répondre aux défis contemporains ?

Avec l’expansion des risques et leurs complexités, les exigences réglementaires en matière de solvabilité, et la compétitivité accrue, l’actuariat doit se déployer efficacement, et ce, par la spécialisation des fonctions actuarielles, telles que la fonction actuarielle reserving, la fonction actuarielle pricing, ou encore la fonction capital allocation.

L’actuariat s’est longtemps appuyé sur les statistiques et les mathématiques, alors que l’évolution des risques, la révolution numérique et le développement des données massives exigent de ce métier une extension vers les métiers informatiques, plus particulièrement aux sciences des données. Ce nouveau socle de l’actuariat permettra aux compagnies d’assurance/réassurance d’identifier et de composer avec les différents enjeux économiques auxquels l’entité fait face, à travers la tarification personnalisée et la prévention des risques de manière ciblée.

Au sein de la CCR, comment les fonctions actuarielles s’intègrent-elles aux différents métiers en particulier dans l’analyse des portefeuilles, l’évaluation des sinistres majeurs ou la gestion des risques accumulés ?

La fonction actuarielle au sein de la CCR représente un pilier majeur dans l’insertion de ses pratiques dans différents métiers de la compagnie. Cette implication s’articule principalement autour des axes suivants : Les modèles de tarification ont un double emploi : le premier est de renforcer la stratégie de souscription de la compagnie et de faire face à la concurrence croissante sur le marché en garantissant des tarifs justes et concurrentiels ; le deuxième est de renforcer la rentabilité et la solvabilité de la compagnie à travers des tarifs adéquats en fonction des profils de risques, le modèle interne permet une gestion efficiente et dynamique des risques de la compagnie. Il représente un levier dans la sphère décisionnelle de la compagnie.

La modélisation CATNAT est un procédé clé, intégré à la stratégie de couverture en réassurance. Elle permet l’estimation de la perte maximum probable à laquelle la compagnie devra faire face.

L’essor de l’intelligence artificielle et de la science des données ouvre de nouvelles perspectives. Comment envisagez-vous leur application dans l’univers spécifique de la réassurance ?

L’intelligence artificielle transforme durablement la réassurance. Elle permet de pratiquer une réassurance plus agile et plus précise, capable de mieux appréhender les risques systémiques et émergents, et donc d’être plus résilient face aux nouveaux défis.

L’intelligence artificielle et la data science constituent un levier stratégique pour le secteur de la réassurance. Dans un environnement caractérisé par des risques de plus en plus complexes, ces technologies offrent de nouvelles capacités d’analyse, de prévision et d’innovation produit.

Sur le plan opérationnel, quels ont été, selon vous, les faits marquants de l’activité de la CCR ces derniers mois, tant sur le plan national qu’en matière de développement international ?

En 2024, la CCR a enregistré un chiffre d’affaires de 50,056 milliards DZD, en progression de +7 % (2023-2024). Les acceptations nationales représentent la part prépondérante de son activité ; elles ont atteint 40 milliards de DZD, consolidant ainsi sa position sur le marché local. S’agissant des acceptations internationales, elles ont atteint 10 milliards de DZD, enregistrant une croissance de 32,21 % par rapport à l’année précédente, témoignant de l’importance croissante de son activité hors du territoire national. Ce chiffre d’affaires représente 20 % du chiffre d’affaires global de la CCR en 2024, contre 16 % en 2023, confirmant une dynamique d’intégration internationale de plus en plus forte.

Peut-on parler d’un “après-Covid” dans la manière dont la réassurance est pensée et structurée à l’échelle mondiale ? Quelles transformations durables cette crise a-t-elle induites dans les modèles de couverture, de gestion des risques ou de partenariats entre assureurs et réassureurs ?

La crise du Covid-19 a profondément modifié la manière dont la réassurance est pensée et structurée à l’échelle mondiale. Elle a agi comme un accélérateur de transformation.

Nous avons assisté à une révision des modèles de couverture, et les réassureurs ont restreint ou exclu la couverture des pertes liées aux pandémies, jugées non mutualisables, avec revue des clauses pour plus de clarté, notamment les déclencheurs de garanties.

Les réassureurs se montrent plus sélectifs, exigent plus de transparence et ont ajusté les conditions tarifaires à la hausse.

Cette pandémie a aussi joué un rôle important dans l’accélération de l’innovation, créant une transformation durable du paysage de la réassurance mondiale, qui redéfinit les équilibres entre assureurs et réassureurs dans la gestion des grands risques globaux.

Les tensions géopolitiques, la volatilité des marchés et les aléas climatiques redessinent les équilibres du secteur. Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confronté en tant que réassureur opérant au niveau international ?

Les tensions géopolitiques mondiales et régionales sont un défi majeur pour les opérations internationales de la CCR, pouvant augmenter la fréquence et la gravité des sinistres.

La CCR a cependant démontré sa capacité à gérer ces risques sur le plan national grâce à son « Pool risques spéciaux » créé en 2018. Cette expertise domestique constitue un avantage concurrentiel significatif et pourrait être capitalisée pour proposer des solutions similaires sur d’autres marchés régionaux, notamment en Afrique et dans le monde arabe. La complexité réglementaire internationale constitue aussi un autre défi qui entrave l’expansion, particulièrement en réassurance médicale, en raison de la disparité des cadres juridiques et des exigences de conformité.

La stratégie de croissance internationale de la CCR pourrait privilégier les régions aux environnements réglementaires plus harmonisés ou les partenariats stratégiques.

Pour conclure, pouvez-vous nous partager votre vision du positionnement futur de la CCR ? Quels sont les axes de croissance et d’influence que vous ambitionnez pour les années à venir, notamment à l’échelle régionale ou continentale ?

Notre ambition pour l’avenir de la CCR s’inscrit dans une dynamique de consolidation nationale et d’expansion stratégique à l’échelle continentale. Notre première mission reste de renforcer le marché national de la réassurance. En 2024, nos acceptations nationales ont atteint les 40 milliards de DZD, témoignant de la solidité de notre ancrage local. Cette base robuste constitue un levier stratégique majeur pour soutenir nos ambitions à l’international, tant en matière de capital que de savoir-faire. Si la concurrence est forte à l’échelle mondiale, le marché africain, en plein développement, offre quant à lui des perspectives plus ouvertes. La CCR y voit une opportunité de croissance naturelle, notamment grâce à ses partenariats stratégiques déjà en place et à la pertinence de son expertise en gestion des risques climatiques et spéciaux – un domaine particulièrement crucial pour de nombreuses économies africaines.

Notre volonté est également de jouer un rôle structurant sur le continent. À travers le programme CCR Collège, nous avons mis en place un accompagnement technique et des formations à destination de nos cédantes locales. Ce modèle est duplicable. Son extension à d’autres marchés émergents africains pourrait positionner la CCR comme un véritable hub de compétences et un partenaire de confiance, au service de la montée en puissance des écosystèmes réassurance africains.

Enfin, la reconduction de notre notation B+ avec perspectives stables par l’agence AM Best est une reconnaissance internationale de notre solidité financière et de notre rigueur technique. C’est un signal fort adressé à nos partenaires actuels et futurs, qui renforce notre crédibilité dans un environnement en constante mutation.

Notre vision est claire : faire de la CCR un acteur de référence en Afrique, alliant ancrage local, excellence technique et influence régionale.

K. M. 

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