Depuis trois décennies, le monde a vécu sous l’ombre d’un ordre international dominé par l’unipolarité américaine. La chute de l’Union soviétique en 1991 avait ouvert une parenthèse où l’économie mondiale semblait guidée par une seule boussole : celle du libéralisme triomphant, de la mondialisation sans entrave et de la domination du dollar. Cette parenthèse est en train de se refermer.
À mesure que la Chine s’affirme comme une puissance économique et technologique incontournable, que l’Inde gagne en poids démographique et commercial, que la Russie cherche à remodeler son influence et que de nouveaux pôles émergent au Sud global, nous assistons à la constitution d’un monde multipolaire.
Pour l’Algérie, ce bouleversement n’est pas une abstraction géopolitique : c’est une réalité qui redessine ses marges de manœuvre, ses menaces et ses opportunités. La montée en puissance de Pékin, avec ses « Nouvelles routes de la soie », transforme les corridors commerciaux et financiers, mais introduit aussi une interdépendance complexe. L’Europe, partenaire historique, vit une transition énergétique et technologique qui recompose les équations gazières et pétrolières. Quant aux États-Unis, ils oscillent entre isolationnisme et reconfiguration stratégique. Dans ce contexte mouvant, l’Algérie trace déjà son chemin.
Les mutations ne sont pas seulement géopolitiques : elles sont aussi technologiques et sociales. L’intelligence artificielle, la transition énergétique, la révolution des biotechnologies, l’économie numérique et la robotisation industrielle redessinent les chaînes de valeur. L’Algérie s’y engage activement, consciente que son avenir ne peut se réduire à un rôle de simple pourvoyeur de matières premières. Forte de ses ressources, de sa position géostratégique et de son capital humain, elle investit dans la diversification économique et la montée en compétences.
Ce mouvement s’articule autour de deux axes. D’une part, l’Algérie veille à préserver ses équilibres : éviter la dépendance excessive vis-à-vis d’un seul partenaire, se prémunir contre les « pièges de la dette », renforcer sa souveraineté numérique et alimentaire. D’autre part, elle saisit les opportunités : elle s’intègre davantage dans les chaînes régionales de valeur africaines, développe ses énergies renouvelables, modernise son appareil industriel, et place l’éducation, la formation et la recherche au cœur de ses priorités.
L’Algérie tire aussi parti de ses appartenances multiples. Africaine par sa géographie et ses engagements dans la Zone de libre-échange continentale (ZLECAf), arabe et méditerranéenne par son ancrage régional, elle participe désormais aux structures financières des BRICS. Elle s’efforce d’y contribuer à la redéfinition de règles économiques plus équitables, tout en affirmant une diplomatie d’équilibre et d’ouverture. Cette pluralité d’ancrages, l’Algérie la convertit en stratégie proactive, évitant toute posture attentiste.
Le monde multipolaire qui se dessine ne garantit pas la stabilité : rivalités accrues, crises climatiques plus fréquentes, compétition technologique exacerbée. Mais il ouvre aussi des brèches. Jamais depuis l’indépendance l’Algérie n’a disposé d’autant de leviers pour diversifier ses partenariats, valoriser son rôle de puissance énergétique et faire entendre sa voix sur les grandes questions globales.
Aujourd’hui, l’Algérie s’affirme comme un acteur en mouvement. Elle investit dans l’économie de la connaissance, renforce sa gouvernance, accélère ses réformes et assume l’ambition d’être non pas une périphérie, mais un acteur central dans son environnement régional et global. L’histoire ne laisse pas de place aux pays immobiles. L’Algérie, fidèle à son indépendance stratégique, transforme déjà les mutations mondiales en leviers pour son développement, et les menaces en opportunités de rebond.
Par Hacene Nait Amara
