
Présent pour la première fois aux Journées Scientifiques et Techniques de Sonatrach, Hamid Aït Abderrahim, directeur du projet nucléaire MYRRHA en Belgique, a salué “l’excellence, le professionnalisme et la profondeur” des échanges. Distingué pour ses contributions scientifiques, il a activement participé aux ateliers sur la transition énergétique, soulignant l’urgence de penser un mix énergétique durable, intégrant le nucléaire. Dans cette interview qu’il a bien voulu accorder au magazine Indjazat, il a insisté sur l’importance de la recherche locale, du transfert de technologie maîtrisé, et d’une coopération internationale fondée sur la confiance. Selon lui, l’Algérie doit renforcer les liens entre industrie et université, structurer son écosystème scientifique nucléaire, et s’ouvrir à des projets innovants comme les petits réacteurs modulaires. “Soyez les bâtisseurs du futur que vous rêvez”, lance-t-il à la jeunesse scientifique algérienne, tout en appelant à un renforcement de la coopération euro-méditerranéenne dans les technologies de pointe.
Entretien réalisé par Hacène Nait Amara
De nombreux chercheurs ont animé ou pris part aux ateliers scientifiques organisés durant les 12ᵉes Journées Scientifiques et Techniques de Sonatrach. Quel regard portez-vous sur la qualité de ces échanges, et selon vous, quels ont été les principaux apports de ces ateliers à la réflexion sur l’innovation et la transition énergétique ?
C’est la première fois que je participe aux JST de Sonatrach et j’ai trois mots qui me viennent à l’esprit pour qualifier les échanges auxquels j’ai assisté ou participé : Excellence, Professionnalisme et Profondeur.
Excellence dans les discours d’ouverture qui ont placé la barre très haut en termes des besoins de la transition énergétique et des défis majeurs de notre pays et de la planète pour y répondre en termes de ressources énergétiques et de matières premières brutes dont les terres rares. Excellence dans le choix des panélistes avec des expériences de terrain très concrètes et des démonstrations de réussites de projets de transfert de technologique mais aussi de projets pharaoniques donnant le vertige. Excellence dans les présentations des jeunes chercheurs de la SONATRACH et du monde académique algérien abordant des sujets innovants dans les différents secteurs de la chaine de valeur de l’exploitation et l’utilisation responsables des matières premières des hydrocarbures dans un soucis d’efficacité énergétique et de diversification.
Professionnalisme dans l’organisation de l’événement et le choix du lieu. J’en félicite la SONATRACH à travers Monsieur Mustapha BENAMARA et ses équipes. Professionnalisme dans la qualité des présentations techniques en termes de contenu et de forme. Professionnalisme dans la qualité des échanges dans les ateliers où les intervenants apportaient des éclairages pouvant être différents mais exprimés dans le respect mutuel. Profondeur illustrée pour moi surtout par la continuation des échanges après les sessions officielles.
A mon sens les principaux apports des ateliers à la réflexion sur l’innovation et la transition énergétiques sont les suivants : tout le monde commence à prendre conscience de l’ampleur de la tâche et de son urgence car il y va de la sécurité d’approvisionnement en énergie pour notre pays à court, moyen et long-termes qui doit s’accompagner d’une sécurité financière pouvant garantir le développement économique et social et sociétal du pays dans un environnement international très incertain ; aucune source d’énergie ne peut être exclue car le défi est très important et se place dans la durée ; et les solutions clés-sur-portes dictées par le souci de la production « just-in-time » ne sont pas compatibles avec la pérennité de la maîtrise locale donc une de conscience du développement de la chaîne-des-valeurs localement au cours des investissement majeurs.
Vous avez été distingué lors de ces JST non seulement pour vos travaux novateurs dans le domaine nucléaire, mais aussi pour votre contribution personnelle à la dynamique intellectuelle de ces journées. Qu’avez-vous souhaité transmettre à travers votre intervention, et que retenez-vous de cet événement en tant que chercheur engagé dans la coopération scientifique internationale ?
Comme vous le savez au cours de ces 12es JST il y avait 2 événements conjoints ; i) l’hydrogène vert et ii) « National Energy Meeting – NEM1 » organisé par le MEMER et le Conseil National de Recherche Scientifique et des Technologies (CNRST) sous le patronage de Monsieur le président de la République et qui adressait le sujet de la transition énergétique de l’Algérie sous le titre : « Contexte, Potentiel et Perspectives Energétiques ».
C’est dans ce deuxième événement conjoint que j’ai été invité par les organisateurs pour intervenir dans les ateliers de réflexion et d’échanges entre experts, scientifiques et dirigeants d’organismes publiques ou privées sur les différentes sources d’énergies pouvant contribuer ou devant être considérées et évaluées pour réussir la transition énergétique de l’Algérie qui soit payable, durable et abordable pour le développement du pays et apportant le bien)être sociétal dans la durée. C’est dans ce séminaire de 2 jours et demi que j’ai contribué le plus à travers les ateliers 1 et 2 et notablement au 6 « La R&D dans le domaine de l’énergie nucléaire » qui est mon domaine de spécialité.
Au cours de mes interventions, j’ai essayé d’éclairer mes collègues sur les nouveaux projets de constructions en cours de nouvelles centrales nucléaires en Extrême-Orient (Chine, Corée du Sud, …), en Europe (Royaume-Uni, Finlande, République Tchèque, Hongrie, France, Slovaquie) et au Moyen-Orient et Afrique du Nord (Emirats-Arabes Unis, Egypte) et aussi les récents changements de position en Europe vis-à-vis de l’énergie nucléaire en Europe dans des pays comme la Belgique, la Suède, la Pologne ou l’Italie et surtout la nouvelle position de la Commission Economique d’inclure l’énergie nucléaire dans la taxonomie verte et même la Banque Mondiale de ré-autoriser le financement des projets nucléaires. J’ai aussi apporté ma contribution sur la nouvelle approche par les petits réacteurs modulaires (SMRs) et leurs atouts et inconvénients et les différentes technologies actuellement en cours. Et pour terminer, je pense que mes contributions sur la problématique des déchets hautement radioactifs et la fermeture du cycle du combustible dont je m’occupe à travers le projet MYRRHA furent appréciées.
Je dois avouer, que ce fut une grande surprise pour moi lors de la cérémonie de remise de trophées en clôture des JST-12, que je sois appelé à me présenter sur scène pour recevoir un prix des mains de M. Mustapha BENAMARA pour mes apports à l’innovation dans le domaine de la technologie de l’énergie nucléaire et mes contributions dans la dynamique du succès de ces journées. Je suis très reconnaissant aux organisateurs et à la Sonatrach pour ce prix car même si j’ai reçu diverses reconnaissances en Belgique ou à l’International, ce prix a une valeur particulière car il vient du secteur énergétique de mon pays natal. Merci à ceux qui ont été à l’origine de cette idée, cela fait chaud au cœur.
J’ai voulu transmettre le message dans la collaboration internationale les partenariats doivent reposer sur une confiance mutuelle qui se construit grâce à l’engagement des porteurs de projets sur le terrain et au niveau du management.
Vous avez dirigé le projet MYRRHA depuis plus de deux décennies. En quoi ce projet s’inscrit-il aujourd’hui dans les enjeux mondiaux de transition énergétique et de gestion durable des déchets nucléaires, tels que discutés lors des 12es JST ?
Je suis à l’origine du projet MYRRHA (Mltipurpose hYbrid Research Reactor for High-tech Applications) dès 1998. Et je le dirige depuis lors et jusqu’à ce jour mais en évoluant au niveau des responsabilités au cours du temps.
MYRRHA est une grande infrastructure de recherche basée sur le concept ADS (Accelerator Driven System) composé d’un réacteur sous-critique refroidi au Pb-Bi et d’un accélérateur linéaire de protons de haute puissance reliés entre eux via une cible de spallation. Nous envisageons différents sujets de recherche allant de la fermeture du cycle du combustible nucléaire par la séparation et transmutation des déchets nucléaires hautement radioactifs, la production de radioisotopes innovants pour le diagnostic et le traitement simultanés du cancer, la recherche sur les matériaux et combustibles nucléaires de réacteurs du futur (par fission de 4e génération ou par fusion).
Ce projet contribue directement à la transition énergétique de 2 façons : (1) en réduisant drastiquement le problème des déchets nucléaire hautement radioactifs à longue radiotoxicité de 300.000 à 300 ans (un facteur 1.000) et en volume d’un facteur 100 ; et (2) en augmentant la durabilité de l’énergie nucléaire par l’étude et la démonstration de la séparation et transmutation et le multi-recyclage, augmentant ainsi le potentiel de l’apport de la fission nucléaire basée sur le cycle de l’uranium de 200 ans à 20.000 ans d’énergie pour une puissance installée de 370 GWe et croissance moyenne mondiale de 1,8% par an.
D’ailleurs le projet MYRRHA est repris dans le Plan National Energie & Climat (PNEC) de la Belgique. Ce qui permet d’avoir l’énergie nucléaire requalifiée dans la taxonomie verte de l’UE.
Les JST ont mis en lumière le rôle croissant des jeunes talents et de la coopération avec les universités. Comment voyez-vous le rôle des universités algériennes dans le développement d’un écosystème scientifique nucléaire crédible ?
Je pense qu’il faut augmenter l’interaction entre les université et l’industrie afin de permettre à nos universités de s’inspirer des soucis et besoins de nos industries et industriels publics ou privés qui sont certainement différent de ceux des industries européennes ou américaines. Nos universitaires sont capables à mon sens de prester, même si c’est contre-nature pour un chercheur, pour un objectif borné dans le temps et dans les budgets alloués. D’autre part nos industries doivent voir dans l’appel aux ressources universitaire comme un investissement sur le futur et dont la valorisation est leur première valeur ajoutée.
Pour ce qui est du secteur nucléaire je pense que certaines de nos universités sont déjà en train de contribuer au développement d’un tel écosystème comme l’USTHB à Alger, l’Université Ferhat Abbas à Sétif qui a un enseignement d’ingénierie nucléaire ou l’Université de Blida à son département de physique nucléaire. Je pense qu’une collaboration plus forte et plus structurée avec l’IAGN (Institut Algérien de Génie Nucléaire) du COMENA et ces universités et d’autres serait un premier jalon dans la bonne direction.
Vous êtes reconnu internationalement pour vos travaux sur les réacteurs ADS et la transmutation des déchets. Pensez-vous que ces technologies pourraient, à terme, constituer une voie réaliste pour des pays comme l’Algérie ?
Quand on voit les développements nouveaux dans diverses technologies de pointe l’approche poursuivie par les pays émergeants pour y accéder c’est de participer dans projets comme MYRRHA que le gouvernement belge ouvre pour la participation internationale. Si l’Algérie envisage l’utilisation de l’énergie nucléaire dans son mix-énergétique de demain et dès lors devra préparer aussi la solution pour la gestion des déchets nucléaires à haute radioactivité dont le volume est faible. Elle peut accéder aux technologie nouvelles développées dans MYRRHA on y devenant partenaire.
La coopération euro-méditerranéenne en matière d’énergie est de plus en plus stratégique. Quel rôle la Belgique, via des plateformes comme SCK CEN ou MYRRHA INPO, peut-elle jouer dans un partenariat scientifique et technologique avec l’Algérie ?
C’est vrai que l’Algérie devient un partenaire incontournable pour le moment pour l’UE et personnellement je pense que l’Algérie qui a été un partenaire historique de la Belgique pour son approvisionnement en gaz naturel de 1986 à 2006 devrait se repencher un peu plus sur la Belgique et son rôle de Hub pour l’approvisionnement en GNL pour l’Europe à travers son terminal gazier de Zeebruges bien connu de SONATRACH puisqu’il a été réalisé dans le cadre du contrat historique entre SONATRACH et DISTRIGAZ (à l’époque). Je dis historique car c’est le premier contrat international de vente de gaz sur une longue période où le prix du gaz était jumelé au prix du baril de pétrole.
D’autre part Le complexe chimique industriel du port d’Anvers-Zeebruges est actuellement le plus grand pôle d’activité chimique intégré en Europe et à l’échelle mondiale il est classé parmi les 10 premiers des complexes chimiques, il est reconnu comme l’un des plus importants grâce à la densité de son réseau industriel : plus de 1 400 entreprises y sont implantées. L’ambition d’Anvers-Zeebruges est de devenir aussi une plaque tournante dans l’hydrogène vert ou sous forme d’ammoniac entre les lieux de production hors-Europe et les pays consommateur.
Pour ce qui est votre question nous avons un contrat cadre de collaboration entre la Belgique et l’Algérie sur les technologies et les énergies renouvelables et nouvelles qui remonte à 1982. Dans ce cadre-là nous avons un accord de coopération entre le COMENA et SCK CEN (le centre d’étude de l’énergie nucléaire) qui est opérationnel depuis des années et le dernier renouvellement fut en 2019. Vu les ambitions extraordinaires de l’Algérie dans sa transition énergétique, une réactualisation des accords existants entre les deux pays peut être bénéfique.
Enfin, quel message souhaitez-vous transmettre à la nouvelle génération d’ingénieurs et chercheurs algériens désireux de s’engager dans la science nucléaire et les technologies de demain ?
Basé sur mon expérience, je leur dis à nos jeunes ne soyez pas des bons exécutants mais soyez les acteurs du futur dont vous rêvez en l’inventant vous-même et en le construisant. Ce n’est pas le chemin le plus facile mais le plus satisfaisant. Je rajouterai une touche philosophique bien de chez nous pour qu’ils ne deviennent pas mégalomanes en leur disant « Faites vos projets comme si vous deviez vivre l’éternité mais n’oubliez pas que la mort peut vous surprendre demain »
H. N. A.