À l’occasion des 12es Journées Scientifiques et Techniques de Sonatrach, tenue du 24 au 26 du mois de juin écoulé à Oran, un panel de haut niveau s’est tenu sur le thème de la complémentarité entre gaz naturel et hydrogène dans la perspective d’un développement énergétique durable. Réunissant des experts de l’industrie, de la recherche et des institutions internationales, cette rencontre a permis d’examiner en profondeur les enjeux, opportunités et contraintes de la transition énergétique en cours. La discussion a mis en exergue les dilemmes auxquels sont confrontés les pays producteurs comme l’Algérie, prise entre l’urgence climatique mondiale et la nécessité de valoriser ses ressources naturelles.
De notre envoyé spécial à Oran Hacène Nait Amara
Ce panel a également été l’occasion de rappeler l’importance d’une vision pragmatique dans l’élaboration des politiques énergétiques. Les intervenants ont insisté sur le fait que la décarbonation ne peut se faire sans une prise en compte équilibrée des réalités industrielles, économiques et sociales. Comme l’a résumé un participant : « Il ne s’agit pas seulement de choisir les énergies les plus propres, mais de garantir leur accessibilité, leur stabilité et leur intégration harmonieuse dans les réseaux existants. »
Gaz naturel : une énergie de transition incontournable
Youcef Khanfar, Directeur central des Ressources renouvelables à Sonatrach, a ouvert le débat en soulignant le rôle crucial du gaz naturel dans la transition énergétique. À ses yeux, cette ressource constitue « une énergie-pont entre un passé carboné et un futur renouvelable ». Il a rappelé que dans de nombreux pays, notamment en Inde et en Chine, le charbon reste la principale source de production électrique – respectivement à hauteur de 80 % et 60 % – et représente un facteur majeur de pollution atmosphérique. « Brûler du charbon émet jusqu’à trois à quatre fois plus de CO2 que le gaz », a-t-il insisté, en appelant à une substitution progressive du charbon par le gaz dans les mix énergétiques mondiaux.
M. Khanfar a également mis en avant la solidité des réserves mondiales de gaz naturel, estimées à environ 200 000 milliards de mètres cubes, permettant une consommation soutenue jusqu’à l’horizon 2050. L’Algérie, qui figure parmi les dix premiers exportateurs mondiaux, ambitionne de renforcer son rôle de fournisseur fiable, en particulier vis-à-vis de l’Europe. « Nous devons non seulement maintenir notre production, mais aussi l’adapter aux nouvelles exigences environnementales », a-t-il expliqué, évoquant la nécessité de coupler exploitation gazière et développement des énergies renouvelables.
Complémentarité gaz-renouvelables : pallier l’intermittence
L’un des points centraux de l’intervention de M. Khanfar a été la complémentarité entre le gaz naturel et les énergies renouvelables. Si ces dernières connaissent une croissance rapide, elles restent soumises au problème de l’intermittence. « Il est illusoire de vouloir produire une électricité fiable uniquement à partir de renouvelables. Le gaz est le liant qui assure la stabilité du réseau », a-t-il affirmé. Cette stabilité est d’autant plus essentielle que les systèmes électriques modernes requièrent une alimentation continue pour répondre à une demande croissante.
Il a également souligné l’importance du développement des capacités de stockage d’énergie – notamment à travers les batteries – et de l’optimisation des réseaux de distribution. Selon lui, le gaz constitue une solution de flexibilité indispensable pour compenser les variations de production solaire ou éolienne. « Le défi n’est pas seulement de produire de l’électricité verte, mais de la rendre disponible quand et où elle est nécessaire », a-t-il précisé, appelant à une vision systémique de la transition énergétique.
Pressions sur les producteurs et mutation industrielle
Said Akretche, membre de l’Association internationale du gaz (AIG) et ancien PDG de Naftal, a dressé un tableau sans concession des pressions exercées sur les producteurs de gaz au cours de la dernière décennie. Il a évoqué un climat de défiance alimenté par des ONG, des partis politiques et certaines institutions financières. « Même les institutions financières ont commencé à refuser les crédits pour les projets liés au gaz », a-t-il regretté, déplorant une stigmatisation injuste d’une ressource pourtant moins émettrice que le charbon ou le pétrole.
Face à cette situation, les acteurs du secteur ont été contraints d’adapter leurs stratégies. « Les producteurs ont compris qu’ils devaient évoluer », a expliqué M. Akretche, citant les investissements croissants dans les énergies renouvelables comme réponse aux exigences climatiques. Il a également mentionné l’exemple de la Tanzanie, où le développement du gaz domestique vise à réduire la déforestation causée par la combustion du bois. « C’est une illustration concrète du rôle social et environnemental que peut jouer le gaz naturel », a-t-il conclu.
Hydrogène vert : potentiel stratégique pour l’Algérie
Le développement de l’hydrogène vert a été présenté comme une voie d’avenir pour l’Algérie, capable d’allier compétitivité économique et durabilité environnementale. Youcef Khanfar a détaillé les projets en cours, notamment ceux portés avec les partenaires Hecate Energy et Tosyali, soulignant leur portée stratégique : « Nous avons entamé les premiers jalons de la production d’hydrogène vert avec l’objectif de répondre à la demande européenne en forte croissance. » L’enjeu est de taille : positionner l’Algérie comme un acteur majeur dans l’économie émergente de l’hydrogène.
Le partenariat signé avec l’espagnol Cepsa va plus loin, en intégrant toute la chaîne de valeur, de la production à l’exportation. Il s’agit de mettre en place des électrolyseurs alimentés par des énergies renouvelables (solaire, éolien) pour produire un hydrogène propre, potentiellement transformé en ammoniac ou méthanol vert. « Nous sommes en train de construire une solution complète, pensée pour le long terme », a insisté M. Khanfar, précisant que l’objectif final est d’alimenter l’industrie européenne avec un carburant bas carbone issu du Sahara algérien.
Vers un écosystème de batteries algérien
Prenant part à ce panel, le professeur Karim Zaghib, scientifique de renom et spécialiste des batteries au phosphate de fer, a lancé un appel clair à la souveraineté technologique dans le secteur du stockage énergétique.
Pour lui, l’Algérie possède tous les atouts pour se lancer dans la production de batteries de nouvelle génération : « Nous avons le fer, le phosphate, l’énergie solaire bon marché et la position géographique stratégique »
L’expert a néanmoins mis en garde contre le risque de voir ce type d’initiative capté par des intérêts privés : « Ce genre de projet stratégique doit être traité comme un bien national, à l’image de la Chine. » Il a plaidé pour une implication directe de l’État et la création d’un écosystème public-privé dédié, allant de la recherche à la production industrielle. « En deux à trois ans, l’Algérie pourrait produire ses premières batteries sur son propre sol », a-t-il affirmé avec conviction.
Recherche, innovation et synergies académiques
De son coté, Noureddine Abdelbaki, recteur de l’Université de Boumerdès, a insisté sur le rôle fondamental que joue l’enseignement supérieur dans la transition énergétique. « Les universités doivent être des catalyseurs d’innovation et des partenaires directs de l’industrie », a-t-il déclaré. Il a évoqué plusieurs projets collaboratifs en cours, notamment dans le domaine des smart grids, de l’hydrogène vert, ou encore du stockage d’énergie à grande échelle.
Pour lui, l’enjeu est aussi de former une nouvelle génération d’ingénieurs et de chercheurs capables de porter les ambitions énergétiques de l’Algérie. « La transition énergétique ne pourra réussir que si elle repose sur des compétences locales solides, ancrées dans un tissu universitaire et scientifique performant », a-t-il souligné, appelant à renforcer les passerelles entre universités, centres de recherche et entreprises nationales.
Au terme de ce panel dense et prospectif, un consensus s’est dégagé : la transition énergétique ne saurait reposer sur une technologie unique, ni sur une vision idéologique. Le gaz naturel, grâce à sa faible empreinte carbone et à sa flexibilité, reste un pilier incontournable du mix énergétique mondial, en particulier pour les pays en développement. Comme l’a résumé Youcef Khanfar, « le gaz n’est pas l’ennemi de la transition, il en est l’un des moteurs ».
Parallèlement, l’Algérie mise résolument sur le développement de l’hydrogène vert et des batteries, avec pour ambition d’anticiper les besoins futurs et de s’imposer comme un acteur clé de la nouvelle économie énergétique. À condition toutefois de bâtir des alliances solides, de favoriser l’innovation locale et d’assurer une gouvernance transparente et stratégique. Le message est clair : la transition énergétique est une course de fond, et l’Algérie entend bien y jouer un rôle majeur.
H. N. A.