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Pr Karim Zaghib, scientifique et chercheur algérien : « L’Algérie doit miser sur ses ressources et son capital humain pour réussir la transition énergétique » 

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Présent aux 12es Journées Scientifiques et Techniques de Sonatrach, le Pr Karim Zaghib, scientifique, chercheur et expert mondialement reconnu en électrochimie et en technologies de stockage de l’énergie, a partagé sa vision sur les conditions d’une transition énergétique réussie pour l’Algérie. Soulignant le potentiel stratégique du pays – riche en lithium, fer et phosphate – il insiste sur la nécessité de bâtir un véritable écosystème industriel adossé à une stratégie politique claire. Pour ce chercheur, l’avenir énergétique passe par la maîtrise locale de la chaîne de valeur, de la mine à la batterie. Il appelle aussi à valoriser le capital humain et à miser sur la formation technique autant qu’universitaire. « L’Algérie dispose des ressources naturelles et humaines pour devenir un acteur clé de l’énergie de demain », affirme-t-il, dans cet entretien qu’il a bien voulu accorder au magazine Indjazat, appelant les jeunes chercheurs à la ténacité, à l’audace et à la collaboration. Suivez-le…

Entretien réalisé par Hacène Nait Amara 

Quelle est votre première impression, Professeur Zaghib, sur cette 12e édition des Journées Scientifiques et Techniques de Sonatrach ? En quoi ce rendez-vous scientifique vous semble-t-il pertinent dans le contexte énergétique actuel ?

Tout d’abord, je remercie les organisateurs de cette événement pour m’avoir invité à ces rencontres. J’ai été impressionné par le site abritant cet important événement. C’est une excellente infrastructure, avec une logistique vraiment exceptionnelle. Le contenu, axé sur le gaz, le pétrole, mais aussi l’hydrogène et la transition énergétique, était très pertinent. Il y avait de très bons ateliers, et une présence politique forte avec plusieurs membres du gouvernement et le président-directeur général de Sonatrach.

Cela donne une impression d’événement de calibre international. 

Votre domaine de spécialité, le stockage et la conservation de l’énergie, occupe une place croissante dans les débats sur la transition énergétique. Quels sont aujourd’hui, selon vous, les principaux défis à relever pour faire des batteries une solution réellement durable et accessible à grande échelle ?

Pour développer des batteries à grande échelle, il faut commencer par sécuriser les minéraux critiques. Cela implique une première et une deuxième transformation de ces ressources, ce qui demande d’importants investissements miniers. Ensuite, il faut fabriquer les précurseurs de l’anode, de la cathode, et enfin produire les cellules. Le principal défi, ce sont les coûts : une giga-factory de 65 GWh représente plus de 7 milliards de dollars d’investissement. Il faut aussi industrialiser le processus et investir massivement dans la formation. Aujourd’hui, la formation en Algérie n’est pas encore adaptée aux besoins industriels : on a besoin à la fois d’universités, mais aussi de formation professionnelle pour les opérateurs, les techniciens et les corps de métier.

Vous avez activement contribué au développement des batteries au phosphate de fer et de lithium. Ces technologies sont-elles compatibles avec les ressources disponibles en Algérie ? Le pays dispose-t-il selon vous d’un potentiel stratégique dans ce domaine ?

Absolument. L’Algérie possède les trois ressources nécessaires à cette technologie : le fer, le phosphate et le lithium. Ce sont les éléments clés des batteries lithium-fer-phosphate, qui conviennent aussi bien au stockage stationnaire d’énergie qu’aux véhicules électriques.

Avec l’Institut d’Énergie Arkham, nous avons choisi de nous concentrer sur cette technologie, plutôt que de nous disperser. Nous allons donc focaliser nos efforts sur le développement local de cette filière, à partir des ressources algériennes.

L’Algérie a exprimé à plusieurs reprises son ambition de s’engager dans la transition énergétique. Quelles seraient, à votre avis, les priorités à mettre en œuvre pour bâtir une filière nationale fondée sur le savoir-faire scientifique et les ressources locales ?

Pour réussir une transition énergétique, il faut bâtir un écosystème cohérent. Cela passe par l’exploitation des ressources naturelles, la transformation des minéraux critiques, l’énergie nécessaire à cette transformation, mais aussi le capital humain. La position géographique de l’Algérie et ses relations internationales jouent aussi un rôle clé.

Il faut que cet écosystème soit soutenu par une stratégie politique de haut niveau. Un plan stratégique global est nécessaire, allant de la recherche à l’innovation, en passant par la formation, l’industrialisation et la création d’emplois. Le tout avec une réelle volonté politique.

Vous êtes intervenu dans un panel lors de ces journées. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le contenu de votre intervention et les messages clés que vous avez souhaité faire passer ?

C’était ma troisième intervention pendant les JST. J’ai d’abord donné une conférence plénière sur les giga-factories et la transformation des minéraux critiques jusqu’à la fabrication des batteries. Mon message : l’Algérie doit se réapproprier cette chaîne de valeur, du minerai à la batterie.

Hier, j’ai parlé du stockage d’énergie et de la complémentarité entre les batteries lithium-ion et l’hydrogène. Ces deux technologies ne s’opposent pas, elles se complètent.

En tant que scientifique de renom à cheval entre le Canada et l’Algérie, vous incarnez un lien entre recherche internationale et savoir-faire local. Comment envisagez-vous concrètement votre rôle dans l’accompagnement des ambitions algériennes en matière d’innovation énergétique ?

Cela fait plus de 30 ans que je suis au Canada. L’écosystème québécois est un miroir de ce que peut devenir l’écosystème algérien : mêmes minéraux critiques, même potentiel énergétique, même richesse humaine. Le Canada a aussi l’avantage d’avoir des accès maritimes profonds pour l’export – tout comme l’Algérie, avec ses 1600 km de côtes.

Je tiens à saluer le rôle de l’ambassade du Canada en Algérie, qui entretient d’excellentes relations. L’Algérie devrait s’appuyer sur l’expérience canadienne en matière de transformation minière et de production d’énergie renouvelable respectueuse de l’environnement. Il y a là un partenariat stratégique à cultiver.

Vous avez été reçu par le Président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune. Ce geste vous semble-t-il porteur d’un message fort ?

Absolument. J’ai déjà rencontré des chefs d’État comme Barack Obama ou Emmanuel Macron, ainsi que plusieurs Premiers ministres. Être reçu par le président Tebboune est un signal très fort, non seulement pour la science et la technologie, mais aussi pour le respect des chercheurs, des académiciens et des industriels. Car j’ai les deux casquettes.

Cela montre une reconnaissance des compétences, et surtout une volonté d’unir les forces des Algériens de l’intérieur comme de la diaspora. Nous travaillons tous pour le même objectif : l’intérêt de notre pays, l’Algérie.

Enfin, quel message aimeriez-vous adresser aux jeunes chercheurs et ingénieurs algériens présents à ces journées, qui s’intéressent à l’énergie de demain ? Quelle place peuvent-ils, selon vous, occuper dans cette dynamique mondiale de décarbonation ?

Mon message est simple : suivez vos rêves. Ayez de l’audace, de la ténacité, de la persévérance. Travaillez en équipe. Soyez honnêtes – l’honnêteté est fondamentale, même au-delà de la mort. Ce sont ces valeurs qui vous permettront de réussir et de contribuer activement à la transformation énergétique de l’Algérie et du monde. 

H. N. A.

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