La 4e édition de la Foire commerciale intra-africaine (IATF 2025), ouverte à le 4 septembre écoulé Alger sous le haut patronage du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a été bien plus qu’un simple rendez-vous d’affaires. Dès son inauguration, elle s’est imposée comme une plateforme stratégique où se conjuguent ambitions économiques, réflexions politiques et convergences diplomatiques. Pour beaucoup d’observateurs, l’événement n’a pas seulement permis de montrer le dynamisme de l’économie africaine, il a également révélé une volonté collective d’accélérer le processus d’intégration continentale. L’Algérie, en tant qu’hôte et initiatrice de cette grande rencontre, a su imposer un style nouveau de concertation, basé sur la communication directe et l’interaction entre pairs. Le président Tebboune a pris soin d’imprimer sa marque en présidant une séance interactive de haut niveau consacrée à la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), pierre angulaire du projet d’intégration. Contrairement aux forums classiques marqués par des allocutions protocolaires, cette rencontre s’est distinguée par la franchise des échanges et la profondeur des débats, donnant aux participants la possibilité de confronter leurs visions nationales, de partager leurs priorités immédiates et surtout de se projeter dans une trajectoire commune où l’intégration régionale devient une nécessité stratégique.
Par Hacène Nait Amara
Cette approche a fait de la communication un instrument de leadership politique. En favorisant le dialogue franc et direct, le chef de l’État algérien a créé les conditions d’un climat de confiance rare entre ses homologues. Chacun a pu s’exprimer librement, sans craindre le carcan protocolaire qui accompagne souvent ce type de rendez-vous. Ce style de gouvernance, où l’écoute et l’échange priment sur la simple déclaration d’intention, a donné à cette foire une dimension inédite : celle d’un véritable laboratoire diplomatique africain, où l’économie et la politique se nourrissent mutuellement pour dessiner un avenir commun. La démarche s’inscrit dans une continuité historique : l’Algérie a toujours défendu les causes africaines dans les instances internationales, mais en choisissant désormais le terrain économique comme levier d’émancipation collective, elle élargit le spectre de son engagement. À ce titre, Abdelmadjid Tebboune a martelé la volonté d’avancer « sur la voie du développement » avec l’ensemble des partenaires africains, rappelant, en écho à l’histoire commune, que « nous étions hier des compagnons sur la voie de la libération et nous sommes aujourd’hui des compagnons sur la voie du développement ».
Le rôle pionnier de l’Algérie et la question des infrastructures
Tout au long des interventions, un consensus s’est dégagé autour du rôle pionnier de l’Algérie. Le président tchadien Mahamat Idriss Déby a mis en exergue un exemple concret : la route transsaharienne. Saluant « l’apport de l’Algérie à l’Afrique » pour renforcer les échanges, il a insisté sur la volonté de N’Djamena de « valoriser la route transsaharienne » afin d’intensifier le commerce avec les pays voisins et d’accéder au bassin méditerranéen. Dans la même veine, il a qualifié la ZLECAf de « choix stratégique » capable d’établir des passerelles d’échanges pérennes et de servir de « levier pour la réalisation de la souveraineté économique du continent ». En réponse, Abdelmadjid Tebboune a assuré que « l’Algérie [est] disposée à aider le Tchad à développer son économie », une proposition qui traduit l’esprit concret de la coopération affichée à Alger.
Le président du Mozambique, Daniel Chapo, a , de son coté, salué « les efforts consentis par l’Algérie » pour la réussite de l’événement et affirmé la détermination de Maputo à « transformer la ZLECAf en réalité concrète ». Cette ambition rejoint celle de nombreux participants qui refusent de voir l’accord continental rester lettre morte faute d’infrastructures et de cadres opérationnels. Côté Namibie, la vice-présidente Lucia Witbooi a remercié Alger d’avoir accueilli l’édition 2025 « à un moment où l’Afrique doit prendre des décisions importantes » et « conduire elle-même son développement ». Là encore, Tebboune a répondu en miroir, disant « la volonté de l’Algérie d’être aux côtés de la Namibie » et d’« œuvrer de concert » pour « raccourcir la distance géographique entre les deux pays ».
Au-delà des annonces, la logique d’intégration s’est incarnée dans des projets précis. Le Premier ministre burundais, Nestor Ntahontuye, a vu dans la foire « une opportunité pour résoudre les problèmes et lever les obstacles » au commerce intra-africain. Dans la foulée, le président algérien a proposé d’« créer une haute commission mixte avec le Burundi » et d’installer des « cadres juridiques pour l’investissement » qui stimulent l’intégration continentale. Le président du Conseil présidentiel libyen, Mohamed Younes El-Menfi, a, lui, salué « la bonne organisation » de cette 4ᵉ édition et exprimé l’ambition de Tripoli de « jouer un rôle plus important » dans l’intégration africaine. Tebboune a répondu en réaffirmant « le soutien de l’Algérie à la stabilité » de la Libye, condition préalable à toute montée en puissance économique.
Le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a apporté une illustration supplémentaire en citant la route Tindouf-Zouérate, que l’Algérie est en train de construire. Pour lui, il est nécessaire « d’accélérer l’intégration » par des projets communs, mais aussi de « passer d’une économie fondée sur l’extraction » à une économie « fondée sur la valorisation et la transformation » locales des ressources. Le vice-président du Kenya, Kithure Kindiki, a renchéri sur la dimension sociale et inclusive de ces choix, appelant à « intensifier la coopération » afin d’« atteindre l’indépendance économique et sortir les peuples de la pauvreté ». À travers ces voix convergentes, un fil rouge se dessine : sans infrastructures transfrontalières, sans cadres juridiques communs et sans industrialisation locale, la ZLECAf resterait une promesse inachevée.
La Zlecaf, un projet structurant
À mesure que les échanges progressaient, une idée centrale s’est imposée : l’Algérie est désormais perçue comme un pivot essentiel de la locomotive panafricaine. Les dirigeants présents n’ont pas seulement applaudi l’organisation matérielle de la foire ; ils ont surtout reconnu la capacité d’Alger à mobiliser, proposer et catalyser les énergies. Dans un continent parfois traversé de fractures, ce rôle de fédérateur a été jugé décisif. L’ancien président nigérien Mahamadou Issoufou, artisan historique de la ZLECAf, l’a dit clairement : l’Algérie « a réussi à se frayer une place de choix dans l’économie africaine » en « devenant la 3e plus grande économie africaine », ce qui lui permet « de prendre le leadership du continent » et de « s’ériger en pays pivot » pour l’intégration. En retour, Tebboune a salué Issoufou comme un « militant chevronné » et un « fervent défenseur » de la ZLECAf, soulignant la continuité des engagements et l’alignement des priorités.
Dans ce contexte, la ZLECAf est apparue comme l’architecture de référence. Le président tunisien Kaïs Saïed l’a qualifiée de « rêve pour tous les Africains, génération après génération » et de « projet civilisationnel » visant à « construire le continent de manière intégrée » et à rendre « aux peuples » leur « pleine souveraineté sur leurs ressources spoliées » pour que « l’Afrique soit aux Africains ». Le président mozambicain, Daniel Chapo, a donné une tournure opérationnelle à cette vision en appelant à « transformer la ZLECAf en réalité concrète ». De fait, la ZLECAf n’est plus perçue comme un simple traité commercial : elle s’affirme comme la clé de voûte d’un basculement stratégique, où la création de valeur et la montée en gamme industrielles doivent se faire à l’intérieur des chaînes africaines.
Cette ambition se nourrit d’une grammaire nouvelle de la coopération. La reconnaissance par les pairs du rôle d’Alger n’est pas qu’une affaire de prestige : elle ouvre des portes très pratiques, de la coordination réglementaire à l’harmonisation logistique. La disponibilité répétée par Tebboune – « être aux côtés » des partenaires, « raccourcir la distance » entre les peuples, « aider » à développer les économies sœurs – indique que la diplomatie algérienne entend s’ancrer dans des instruments concrets : commissions mixtes, corridors terrestres, hubs énergétiques et plateformes de transformation. À ce titre, l’Algérie, comme « pays pivot », se voit confier par ses pairs une responsabilité : maintenir le tempo de l’intégration et entraîner, par l’exemple, l’ensemble du convoi panafricain.
Une ouverture vers le monde et une diplomatie économique nouvelle
Si la séance a consolidé un socle intra-africain, elle a aussi élargi l’horizon stratégique. Le Premier ministre de la Grenade, Dickon Mitchell, a mis en avant « l’importance de la coopération entre l’Afrique et les Caraïbes », affichant la volonté d’attirer « davantage d’investissements africains ». Son appel à bâtir des passerelles transatlantiques donne un contenu concret à la solidarité Sud-Sud, souvent invoquée, trop rarement organisée. En multipliant les axes de partenariat – finance, tourisme, économie bleue, industries culturelles – l’Afrique peut renforcer sa résilience et accroître son poids dans les chaînes globales.
Sur le terrain des principes, la séance a aussi rappelé que l’intégration africaine porte une dimension éthique. Évoquant la situation en Palestine et « le génocide commis contre son peuple », Kaïs Saïed a plaidé pour « un nouveau système humanitaire qui met fin aux guerres, aux divisions et au pillage des richesses des peuples ». Abdelmadjid Tebboune a réaffirmé la position « constante » de l’Algérie, dénonçant « un vrai massacre et un génocide » en Cisjordanie et à Ghaza, et estimant que toute solution en dehors de la création d’un État palestinien sur les frontières de 1967 est « une perte de temps ». Cette convergence de vues ne relève pas de la posture : elle inscrit l’intégration dans une vision de souveraineté et de dignité, où le développement économique s’adosse à des valeurs de justice et de liberté.
Au terme de cette séance présidentielle, le sentiment partagé est celui d’un tournant. D’un côté, des engagements bilatéraux tangibles – avec le Tchad, la Namibie, le Burundi ou la Libye – qui dessinent une carte d’action immédiate. De l’autre, un cap continental clair : faire de la ZLECAf le cadre d’un essor endogène, porté par des infrastructures intégratrices, des réformes pro-investissement et une montée en puissance industrielle. La méthode, désormais, est connue : une diplomatie économique africaine fondée sur la communication, la concertation et le pragmatisme. Comme l’a résumé un participant, la ZLECAf doit devenir la « passerelle vers de nouvelles opportunités », non un slogan mais un chantier permanent.
En se posant comme passerelle entre les ambitions et leur concrétisation, Alger confirme son rôle moteur dans la mise en branle de la locomotive économique panafricaine. Les propos d’Issoufou sur la « 3e plus grande économie africaine » et ceux, réitérés, de Tebboune pour « être aux côtés » des partenaires, tracent une feuille de route lisible : bâtir des corridors, sécuriser des cadres, industrialiser des filières et densifier les échanges. La ZLECAf, en tant que cadre structurant, constitue la voie royale pour transformer cette vision en réalité. Mais au-delà des accords et des projets, ce qui s’est joué à Alger, c’est la redécouverte d’un principe fondateur : l’Afrique ne pourra exister comme puissance mondiale que si elle choisit de marcher unie, de valoriser ses propres ressources et de tracer collectivement son avenir.
H. N. A.




