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Brice Cabibel, directeur général de SEAAL : « Il faut miser sur la solidarité citoyenne pour préserver nos ressources »

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Le Directeur Général de la Société des Eaux et de l’Assainissement d’Alger (SEAAL), Brice Cabibel, revient, dans cet entretien accordé au magazine Indjazat, sur les réalisations de la société qu’il dirige en matière de mobilisation de la ressource hydrique et de sa distribution à travers les communes des deux wilayas d’Alger et de Tipaza. Selon lui, le contrat de gestion déléguée du service de l’eau et de l’assainissement a permis d’atteindre des performances aujourd’hui avérées dans les métiers de l’eau et de l’assainissement. Il n’en demeure pas moins que beaucoup reste à faire pour préserver les acquis réalisés jusqu’ici, notamment en ce qui concerne l’alimentation de la capitale en H24, la mobilisation de la ressource hydrique supplémentaire et la mise en œuvre de nouvelles capacités de traitement des eaux usées (STEP).

Entretien réalisé par Hacène Nait Amara

Le contrat de management de SEAAL, reconduit en 2018, prendra fin l’année prochaine. Quels enseignements peut-on tirer de l’expérience acquise jusqu’ici sur ce projet ?
Depuis 2006, les performances sont très bonnes. Nous avons atteint le H24 sur Alger en 2010, et le H24+Quotidien sur Tipaza en 2018. Nous avons aussi multiplié par dix les capacités de traitement des eaux usées et nous avons accompagné nos différents partenaires, les pouvoirs publics entre autre, dans la montée en puissance dans ce nouveau métier. Aussi, nous avons multiplié par deux le nombre de clients et par trois le chiffre d’affaires. SEAAL est maintenant une entreprise moderne qui a atteint les standards internationaux en termes de performance. En fait, ce qu’on peut retenir de ce contrat, c’est l’efficacité, le professionnalisme, le savoir-faire très complet et la vision long terme adossée à des plans d’actions opérationnels pilotés.

Comment s’est fait jusqu’ici l’accompagnement des deux opérateurs publics (ADE et ONA) dans l’acquisition de savoir-faire du métier de l’eau et de l’assainissement ?
En renouvelant le contrat de gestion déléguée du service public de l’eau et de l’assainissement en 2018, nous avons signé pour le transfert du savoir-faire National qui se traduit par un travail de diagnostic et d’accompagnement de six wilayas à travers le pays, ainsi que la création de l’Ecole Nationale de Gestion de l’Eau et de l’Assainissement (ENGEA). Nous sollicitons, en fonction des actions à mener, soit des experts Suez basés à l’international, des experts Suez basés en Algérie, des référents métier SEAAL, ou bien une combinaison des trois. Avec cette organisation, nous travaillons de manière très proche avec les équipes locales de l’ADE et de l’ONA sur la mise en place des procédures, des technologies et des plans d’actions opérationnels. Je crois qu’il est aujourd’hui un peu trop tôt pour en faire un bilan. Mais, globalement, les choses marchent bien et les collaborateurs des deux entreprises nationales sont très motivés et engagés dans ce processus de transfert de savoir-faire. Concernant l’ENGEA, il a été décidé de créer une SPA où SEAAL prendrait 30% de son capital, avec un démarrage prévu le mois de septembre 2020. Donc, le plan d’action se poursuit et il y a une très bonne dynamique entre les équipes.

L’amélioration du service public de l’eau constitue un objectif majeur pour la SEAAL. Quelle stratégie avez-vous adopté pour cela ?
L’eau est vraiment un élément d’amélioration du cadre de vie, de bien-être et de stabilité sociale. Mais il faut savoir que les problématiques à Alger et à Tipaza sont complètement différentes. Dans la capitale, l’enjeu majeur en eau potable c’est de sécuriser le H24. A Tipaza, c’est plutôt l’étendre. Dans l’attente des nouvelles infrastructures de production, nous travaillons sur les eaux non facturées qui représentent notre unique ressource supplémentaire à court termes. Nous devons arriver d’ici 2021 à 65% de ratio de facturation sur Alger et 52% sur Tipaza en réduisant les fuites, mais surtout les branchements illicites. Du point de vue économique, nous investissons beaucoup sur le recouvrement des créances, qui doit passer de 89% à 101% cette année. Quant à l’assainissement, les grands enjeux concernent la mise en place de nouvelles capacités de traitement et la gestion des boues d’épuration. Nous avons environ 80 000 tonnes de boues stockées et des filières de valorisation agricole et énergétique de ces boues sont actuellement à l’étude.

L’on dit souvent que la bataille de la mobilisation de l’eau est gagnée mais reste l’aspect de sa distribution qui faut défaut. Est-ce le cas au niveau de la SEAAL ?
Il faut considérer que le processus d’amélioration et de réduction des eaux non facturées est un processus complexe et très lent qui ne s’accommode pas avec les enjeux actuels de l’eau. Passer d’un ratio de facturation de 58% à 80% prendra 20 ans. Compte tenu de l’évolution démographique, travailler uniquement sur les eaux non facturées ne permettra pas d’assurer à moyen termes une alimentation en eau potable des populations en H24. Donc, il y a encore beaucoup à faire en matière de mobilisation de la ressource, et de nouvelles infrastructures de production et de transfert sont nécessaires.

Quel genre d’investissement faudrait-il faire en eau potable ?
A Alger et Tipaza, il convient de mettre en œuvre une nouvelle station de dessalement et le projet de Kef Eddir à l’extrême ouest de la Wilaya de Tipasa. Il faudrait ensuite pouvoir augmenter les capacités de stockage sur Alger où nous n’avons même pas une journée d’autonomie. Faute d’investissement, l’ouest d’Alger sera en déficit dans 3 ans.

N’y a-t-il pas une forme de « solidarité hydrique » entre régions pour, justement, combler les déficits ?
Les grands transferts est-ouest permettent de mettre en place une réelle solidarité hydrique entre les wilayas d’Alger, Tipaza, Blida, Boumerdes et Tizi Ouzou. L’ouest d’Alger est par exemple alimenté par l’est d’Alger et les Barrages situés sur les Wilayas de Boumerdes et Tizi Ouzou. Une partie de Blida est alimentée à partir de la capitale. Nous produisons également de l’eau que nous mettons à la disposition de l’ADE de Tizi Ouzou et de Boumerdès. Donc, cette solidarité existe et est opérationnelle. Des arbitrages sont toutefois toujours nécessaires car la ressource hydrique est limitée. Nous devons maintenant miser sur la solidarité des populations qui devraient baisser leur consommation d’eau afin d’en faire bénéficier d’autres et réduire les investissements de l’Etat.

Le pays passe actuellement par une période de faible pluviométrie. Cela ne va-t-il pas impacter l’AEP ?
Nous ne prévoyons pas de risque à court terme, même si quelques arbitrages entre les différents usages seront à opérer. Nous avons 252 millions m3 dans les barrages, en plus des stations de dessalement et des forages, qui devraient nous permettre d’assurer l’alimentation en eau. Toutefois, le plus grand risque, s’il ne pleut pas, c’est qu’on aura une eau de mauvaise qualité dans les barrages et son traitement sera difficile.

Comment faire justement pour inciter les ménages à réduire leur consommation d’eau ?
A Alger, la consommation moyenne par habitant et par jour est de 103 litres, alors que l’OMS préconise 50 litres. Les campagnes de communication sont très utiles et doivent expliquer aux citoyens la situation réelle et les conséquences si les habitudes de consommation n’évoluent pas : perte du H24, augmentation des investissements. L’évolution de la politique tarifaire peut aussi être très efficace car l’élasticité entre prix de l’eau et consommation est importante. Il est vrai que l’eau a un caractère social ; mais les consommations qui sont au-dessus des volumes nécessaires pour vivre correctement devraient être taxées plus lourdement car elles engendrent des investissements très importants.

Où en êtes-vous en matière de transfert de savoir-faire au sein de l’entreprise ?
Le transfert du savoir-faire a été réalisé en continu depuis le début du contrat en 2006. Sur le plan managérial, nous développons actuellement nos 600 managers grâce à un programme spécifique et à l’introduction de nouvelles technologies. L’engagement de nos 600 managers est nécessaire pour assurer une parfaite mobilisation de nos 6500 salariés.

Puisque vous évoquez les nouvelles technologies, dans quelle mesure l’exploitation de la donnée « Big Data » a pu aider l’entreprise à maîtriser la gestion de l’eau et de l’assainissement ?
Nous avons beaucoup investi dans le Big Data et les logiciels d’analyse et d’aide à la décision. Tout le réseau d’eau potable est équipé de capteurs et cela nous permet, en croisant toutes les informations recueillies avec la géolocalisation des consommations, d’identifier les zones sur lesquelles agir en priorité. Nous nous préparons maintenant à équiper le réseau d’assainissement pour le rendre intelligent et contrôler son fonctionnement en temps réel.
H. N. A.

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