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Mme Kanayo Awani, Executive Vice-president Afreximbank : « Nous devons consommer ce que nous produisons en Afrique »

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La ZLECAf représente une opportunité historique pour transformer nos économies, mais son succès dépend de notre capacité à lever des obstacles persistants, affirme Kanayo Awani, Executive Vice-president d’Afreximbank dans une interview accordée au magazine Indjazat. Selon elle, l’accès au financement reste le nerf de la guerre du commerce intra-africain, tout comme le manque d’informations de marché, les déficits d’infrastructures et la fragmentation monétaire. Face à ces défis, l’Afreximbank déploie des solutions innovantes : le PAPSS pour faciliter les paiements en monnaies locales, la Foire commerciale intra-africaine pour réduire l’asymétrie d’information, ou encore des Centres d’assurance qualité pour harmoniser les normes. L’industrialisation est au cœur de la stratégie : « Nous devons cesser d’exporter nos matières premières à l’état brut et créer de la valeur chez nous. » Les PME et startups, colonne vertébrale des économies africaines, bénéficient de programmes dédiés de financement, de renforcement de capacités et d’accès au marché. L’Afreximbank mise aussi sur des instruments tels que l’affacturage et le modèle d’African Trade Company , inspiré des sociétés de négoce asiatiques, pour mutualiser les forces des petites structures et leur ouvrir les chaînes de valeur internationales. L’Algérie, grande économie dotée d’une base industrielle solide et d’une position géostratégique, a un rôle déterminant dans la concrétisation de cette stratégie. 

Par Hacène Nait Amara 

Selon vous, quels sont les principaux obstacles qui continuent de freiner le commerce intra-africain malgré la mise en œuvre de la ZLECAf ?

La ZLECAf est une institution importante qui contribuera à dynamiser le commerce intra-africain. Mais si l’on se concentre sur les difficultés, elles sont nombreuses. L’accès au financement est majeur : il y a un manque persistant de capital sur l’ensemble du continent. S’y ajoute le déficit d’accès aux informations commerciales et de marché. Les Africains ignorent souvent ce que leurs voisins achètent et vendent aujourd’hui, car nos schémas d’échanges ont été orientés vers l’extérieur par l’héritage colonial ; le commerce était tourné vers des pays hors du continent.

Il existe aussi des déficits d’infrastructures et de connectivité, et la multiplicité des monnaies — autour de 42 en Afrique — complique les paiements transfrontaliers. C’est pourquoi tant de transactions transitent par le dollar américain. Une solution que nous avons introduite à l’Afreximbank est le Système panafricain de paiement et de règlement (PAPSS), qui permet aux acheteurs et vendeurs d’utiliser leurs monnaies locales. Cela aide également à traiter un autre problème : l’informalité des échanges. Quand on dit que le commerce intra-africain représente 15 à16 %, on ne capte pas un vaste segment informel.

Du côté de l’offre, il y a des contraintes aussi. Beaucoup de pays sont mono-exportateurs et vendent à l’état brut. Or exporter des matières premières non transformées ne peut pas, à lui seul, soutenir le commerce intra-africain. Prenons le cacao : l’Afrique en est le premier producteur — concentré en Afrique de l’Ouest, au Ghana, en Côte d’Ivoire, au Nigeria et au Cameroun — mais sans industrialisation et création de valeur, ces pays ne peuvent guère commercer entre eux. Les fèves partent vers des usines à l’étranger, la valeur y est ajoutée, puis le chocolat nous revient comme produit fini. Ce paradigme doit changer.

Les petites économies affrontent des obstacles spécifiques — qu’il s’agisse des États insulaires ou des pays enclavés/« liés par la terre ». Une part significative des pays du continent relève de ces catégories, ce qui complique la logistique et augmente les coûts. La bonne nouvelle, c’est que la Stratégie du commerce intra-africain de l’Afreximbank reconnaît ces problèmes — du financement à la facilitation. Nous avons mis en place des mesures de facilitation des échanges pour lever les barrières et s’attaquer à ce qui freine le commerce intra-africain.

Les normes constituent un autre grand chantier. Il manque une harmonisation des standards à l’échelle africaine — jusqu’aux prises électriques, qui varient d’une région à l’autre, ce qui décourage l’investissement. Nous devons harmoniser et « domicilier » les normes. L’Afreximbank a soutenu l’harmonisation dans des secteurs comme l’automobile, le textile et le cuir, les consommables médicaux et les produits pharmaceutiques, entre autres. Les défis sont multiples et variés, mais nous apportons des solutions.

Plusieurs initiatives sont en cours. La Foire commerciale intra-africaine répond au déficit d’information. Le PAPSS, comme je l’ai indiqué, traite la question des paiements. Nous soutenons aussi le Fonds d’ajustement de la ZLECAf et le Fonds pour le développement des exportations en Afrique afin d’aider les entreprises à s’adapter à un régime plus libéralisé. Nous déployons des Centres africains d’assurance qualité — infrastructures d’essais, d’inspection et de certification — pour garantir que les produits respectent les normes internationales et puissent en attester.

Nous travaillons également à l’industrialisation via des parcs industriels et des zones économiques spéciales ou zones de transformation pour l’exportation, en partenariat avec nos sociétés associées. Cela répond aux contraintes du côté de l’offre — le fait que nous ne disposons pas de suffisamment de biens industriels à nous vendre mutuellement. L’objectif est d’ancrer la fabrication et de s’assurer qu’elle crée des emplois. Nous mettons l’accent sur les industries légères, car elles peuvent employer un grand nombre de jeunes à travers le continent.

Comment l’Afreximbank prévoit-elle d’apporter un soutien concret aux PME et aux startups africaines pour qu’elles tirent pleinement parti des opportunités de l’intégration régionale ?

Les PME sont l’épine dorsale des économies africaines. Dans nos travaux autour de la ZLECAf, nous savons pertinemment que ce sont elles qui porteront la mise en œuvre. C’est pourquoi l’Afreximbank a un Programme de développement des PME qui va au-delà du financement. Trop souvent, on présente la finance comme la seule réponse, alors que de nombreux facteurs limitent la participation des PME aux chaînes de valeur — notamment des lacunes de capacités.

Nous proposons donc des solutions de financement via des intermédiaires de finance du commerce ciblant les PME, et nous mettons en œuvre des programmes de renforcement des capacités — incubateurs, accélérateurs, ateliers et masterclasses — pour développer la préparation à l’export et renforcer les compétences managériales et techniques. À la Foire commerciale, par exemple, nous animons un pavillon PME et des ateliers dédiés précisément à cet effet.

Nous soutenons aussi des programmes complémentaires — comme l’initiative de l’Union africaine en faveur des jeunes startups — pour stimuler l’innovation et aider les prototypes à accéder au marché.

L’accès au marché est central dans notre action en faveur des PME. Mentionnons l’économie créative, où nous finançons, facilitons l’accès au marché, renforçons les capacités et aidons à consolider les institutions, en particulier en matière de propriété intellectuelle. Avec les institutions de la ZLECAf, nous accompagnons la mise en place d’un cadre d’office de PI afin que les droits des créateurs africains soient protégés et monétisés sur le continent plutôt que captés ailleurs.

Dans la mode, par exemple, nous avons aidé plus d’une centaine de créateurs à atteindre les podiums internationaux — au Portugal, à Paris, à New York et à Tokyo. Récemment, aux Galeries Lafayette à Paris, nous avons soutenu une boutique éphémère estivale pour que des créateurs africains exposent leurs œuvres, rencontrent des acheteurs et reçoivent des commandes — un accès au marché très concret. Dans la musique, nous soutenons des masterclasses pour aider les auteurs-compositeurs à monétiser leur talent. 

Ici en Algérie, nous travaillons également avec la Banque centrale sur l’affacturage, en introduisant des instruments alternatifs de finance du commerce particulièrement adaptés aux PME. L’objectif est d’élargir la boîte à outils afin que les PME soient mieux et plus efficacement soutenues.

L’accès au financement reste un défi majeur pour les exportateurs africains. Quelles solutions innovantes proposez-vous pour combler cet écart ?

J’ai déjà mentionné l’affacturage — c’est l’une des solutions innovantes que nous déployons à grande échelle pour les PME africaines, sur le continent comme dans la diaspora. Il existe souvent un manque de sensibilisation à l’affacturage ; nous menons donc des actions d’information et de renforcement des capacités. C’est ce que nous faisons aussi ici, afin d’exposer la communauté des services financiers algériens à l’affacturage.

Autre innovation : le modèle d’« African Trade Company » que nous avons lancé — inspiré du concept des sociétés de commerce extérieur (Export Trading Companies, ETC) qui a fait ses preuves dans des régions comme l’Asie. Des entreprises comme Mitsubishi ou Mitsui ont démarré comme sociétés de négoce. Pourquoi ce modèle ? Parce que de nombreuses PME, et même des investisseurs des parcs industriels évoqués, ne peuvent pas, seules, gérer la complexité et l’échelle du commerce transfrontalier. La société de négoce agrège la production de multiples petites entreprises, leur apporte des financements de production, assure la normalisation et la conformité aux exigences des acheteurs, puis gère la logistique du commerce international et la distribution du « dernier kilomètre ». Pensez à un cluster — par exemple des transformateurs de noix de cajou. La société peut agréger la production, financer le besoin en fonds de roulement, exploiter une usine modèle ou de démonstration pour respecter les spécifications — le textile et l’habillement en sont un autre exemple — puis prendre en charge les opérations d’exportation.

Point crucial, elle fait aussi remonter l’information des acheteurs vers les producteurs, bouclant la boucle pour que les entreprises s’ajustent à la demande. Nous avons créé l’African Trade Company comme holding, avec des sociétés nationales de négoce à l’export comme filiales, pour déployer ce modèle à l’échelle et faire circuler les flux de trésorerie tout au long de la chaîne de valeur.

L’Algérie affiche un engagement croissant envers le continent. Quel rôle lui attribuez-vous dans la dynamique économique africaine et dans la réussite de la ZLECAf ?

L’Algérie est l’une des plus grandes économies du continent. Nous avons besoin d’acteurs de cette envergure, capables de stimuler le commerce intra-africain et d’entraîner, par effet d’agrégation, le soutien aux économies plus petites. Sa position géographique est stratégique — c’est une véritable porte d’entrée sur l’Afrique.

J’ai entendu Son Excellence le président Tebboune déclarer hier qu’auparavant l’Algérie tournait le dos à l’Afrique, mais qu’à présent elle lui fait face. C’est une déclaration politique forte, un véritable engagement. Au-delà du rôle de porte d’entrée et de grande économie, l’Algérie dispose d’une base industrielle significative. L’une des raisons pour lesquelles nous ne commerçons pas assez entre nous est l’insuffisance de produits manufacturés circulant à l’intérieur du continent.

Trop souvent, les Africains quittent le continent pour s’approvisionner en biens que l’Afrique produit déjà — que l’Algérie produit. L’objectif de cette Foire commerciale est de changer cela. J’espère que les Africains venant d’autres pays, ainsi que la « Global Africa », visiteront les pavillons et les usines, verront ce qu’ils peuvent acheter et commenceront à s’approvisionner sur le continent. Nous en avons assez de ne pas consommer ce que nous produisons.

L’Afrique est un vaste marché capable d’absorber les surplus — par exemple, l’excédent algérien en matériaux de construction peut être consommé en Afrique. C’est l’esprit de la ZLECAf : produire, échanger et consommer davantage au sein de notre propre marché continental.

H.N.A. 

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